Mario Duplantier
Interview publiée en juillet/août 2012 – Batteur Magazine n° 260
Le batteur sauvage
Mario Duplantier n’est pas devenu l’un des batteurs de metal les plus reconnus par hasard. Son sens de l’expérimentation, ses remises en questions permanentes, son timing et sa frappe explosive font de lui un musicien complètement à part. Place au maestro qui défend aujourd’hui son cinquième album, « L’enfant Sauvage ».
Lors de notre dernier entretien, tu évoquais l’urgence dans laquelle vous aviez composé The Way Of All Flesh, compte tenu d’une certaine réalité économique. Est-ce que L’Enfant Sauvage a également été composé rapidement ?
Non, les conditions étaient moins stressantes. Nous étions conscients que cette fois, il nous fallait prendre un peu plus de temps et aller au bout de nos idées. Faire aboutir un morceau ne se fait pas comme ça. Il s’agit quand même de notre matière première.
Est-ce que cela ne te dérange pas de composer pendant un court laps de temps pour immortaliser les compos dans la foulée. N’as-tu pas parfois des regrets ?
Oui c’est clair, nous ne bénéficierons jamais plus du confort que nous avions à nos débuts… A moins d’arrêter d’être professionnel, faire un break, engranger des idées et prendre le temps de les faire mûrir. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre cinq ans pour composer un album. Nous avons actuellement un projet qui tient la route. Il faut battre le fer tant qu’il est chaud. D’un autre côté, se forcer à composer en peu de temps est un exercice fort intéressant. Peut-être que si nous n’avions pas cette pression, rien ne sortirait ? Il est évident que des morceaux qui ont été joués pendant un an sur la route évoluent et gagnent en feeling. Mais nous acceptons le jeu de la « photographie ». Nous pouvons toujours nous rattraper sur les sorties « DVD live » où nous pouvons nous permettre une réinterprétation.
Est-ce que l’écriture se fait toujours entre ton frère Jo et toi ?
Oui, mais nous avons tout finalisé en groupe. J’ai été très inspiré durant cette période. J’avais même des vues sur des mélodies, sur le dynamisme de l’album, du genre : « Je verrais bien une chanson de trois minutes dans tel style… ». Jo est très doué pour concrétiser ce que j’ai en tête. Il existe une sorte de fusion entre nous.
Comment communiques-tu avec lui ?
En lui chantant mes idées, par onomatopée. Au niveau rythmique pure, nous avons acquis un vocabulaire commun. Si je lui parle d’un pattern avec un moulin en haut et un quintolet en bas, il comprendra ce que je veux dire.
Dès qu’il s’agit de Gojira, je privilégie les gros toms avec des accordages très bas.
Je suppose que vous avez été courtisés par des tas de labels. Après Listenable, pourquoi ce choix de Roadrunner ?
Effectivement, les labels se sont bousculés au portillon. Mais Roadrunner s’est montré le plus passionné par notre musique. Depuis 2005, nous avons joué huit fois à New York, et l’équipe de Roadrunner a toujours répondu présent. Monte Corner, qui s’occupe de l’aspect artistique du label, est carrément fan du groupe. Nous savions par avance que ce qu’ils nous proposeraient nous permettrait de passer au cap supérieur. J’aime l’ambiance qui règne dans cette équipe bourrée de gens excentriques. Nous sommes loin de l’atmosphère austère des majors.
Face à la crise du disque, j’ai l’impression qu’ils sont ceux qui résistent le mieux ?
Oui, ils sont très organisés avec pas mal de locomotives comme Slipknot, Machine Head, Korn, Megadeth… On sent tout de suite qu’une telle logistique a été établie grâce à un travail de longue date. Ils ont les reins solides.
Comment se sont déroulées les sessions de l’album ?
J’avais préparé mes clicks à l’avance avec une guitare témoin. J’ai fait les morceaux pratiquement en « one shot » afin de garder l’énergie. Dans un second temps, les petites choses qui n’allaient pas étaient retravaillées au sein de la prise. Ma démarche a été de ne pas m’attacher à la perfection, de garder cet esprit « live », surtout au niveau de l’attaque des cymbales, qui est très fluctuante en concert. Vois-tu, tout le monde critique le jeu de Lars Ulrich en live car ce n’est pas suffisamment en place. Et bien moi je trouve que sa façon de jouer a du charme. C’est une sorte d’art. Au charley, il va t’accentuer certains coups. Il en est de même pour ses grosses caisses, ce qui a le don d’en énerver certains. Nous avons fait vingt-cinq dates avec Metallica. Au début, j’ai eu le réflexe de tous les batteurs en me disant : « Et bien ! Ça flotte un peu trop ». Et à la fin de la tournée, j’y ai vu l’intérêt, le caractère… J’ai trop de respect pour ce gars. J’ai mis ainsi dans L’enfant Sauvage un petit peu de cet état d’esprit. Avant Lars, j’étais obsessionnel sur tout ce qui concernait la régularité de mes crashes ou de mes rides. A présent, tant pis si ce n’est pas métronomique.
![]() L’Enfant sauvage |
![]() End of Time (EP) |
![]() The Way of All Flesh |
![]() From Mars to Sirius |
![]() The Link |
![]() Terra Incognita |
Un morceau comme Explosia est très typique de Gojira. A partir du moment où tu as posé le pattern de double grosse caisse, tout le reste coule de source…
Tu as raison car Explosia est né d’un exercice de batterie. Je m’amuse souvent à me lancer des défis. Ici, il s’agissait d’un roulement aux pieds qui commence par la gauche, ce qui est toujours très chiant (rires). Puis est venu le moment de l’expliquer au reste de l’équipe. Je l’ai donc ralenti et joué au charley. A partir de là, Jo est parti en jam pendant que les autres continuaient à se caler sur l’exercice. Le morceau a donc bien été construit à partir de la batterie.
Un jour, à propos du morceau Remembrance (The link, 2003), tu as avoué avoir créé le pattern de fin en double grosse caisse uniquement pour embêter ton bassiste…
Exactement (Rires !)
Ces défis sont-ils fréquents ?
Oui. Mis à part que, maintenant, les autres n’ont plus la patience. Quand je leur propose un exercice, leur première réaction est : « Oh, mais non, on n’a pas envie ! » (rires). Ils auraient tendance à vouloir moins de technique alors que j’ai tendance à aller à l’opposé. Il faut dire qu’à partir du moment où j’apporte un plan, notre style les oblige à tout décortiquer car ils doivent se synchroniser parfaitement sur les grosses caisses. Mais ce genre d’approche peut conduire à de super morceaux. C’est le cas d’Art Of Dying (The Way Of All Flesh, 2008) ou Liquid Fire (L’Enfant Sauvage) qui sont vraiment basés sur un exercice de batterie.
On constate que vous n’êtes toujours pas avares en dissonances. Vous vous fichez de la théorie musicale…
Oui, complètement. Nous nous sentons un peu comme des dadaïstes de la musique. Nous avons en nous quelque chose de primaire, d’anti conventionnel. Bien sûr, nous nous sommes intéressés à la théorie, mais nous la considérons uniquement comme un outil. Nous ne sommes certainement pas puristes. Nous aimons jouer avec les sons et briser le classicisme.
Aujourd’hui, nous préférons nous concentrer sur notre musique, nos concerts, la qualité de notre son…
L’Enfant Sauvage a été une fois de plus enregistré aux Etats-Unis. Pourquoi ce choix ?
Il y règne une tradition métal qu’on ne retrouve pas en France. Bien entendu, il y a des bons studios partout. Il s’avère qu’une brèche s’ouvre pour nous aux US, un certain enthousiasme. Ça a commencé par Roadrunner. Nous avons également un management américain, pas mal d’amis et une fanbase fidèle. Il y a un “je ne sais quoi” qui nous pousse à travailler là bas. Il faut ajouter que Jo et moi avons une mère américaine. L’aspect affectif envers ce pays est donc très fort. La première fois, que j’y suis allé, j’ai été ému. J’y ai vu ma mère un peu partout, une part de moi…
Pourquoi ne pas avoir intitulé votre album « The Wild Child » ?
Il est parfois dur de faire sonner le français. Cela peut très vite être pompeux. Mais ici, « L’enfant Sauvage », ça sonne réellement mieux.
Au niveau de ton jeu, tu as tendance à synchroniser tes breaks aux mains avec tes grosses caisses, ce qui donne un effet « plombant ». Pourquoi cette envie d’appuyer toujours tes coups au maximum ?
Tu l’as dit toi-même, je veux un effet plombant, qui pilonne, quelque chose de massif, de “volcanique”. Il est vrai que, lorsque je joue la grosse caisse et la caisse claire à l’unisson, il se passe quelque chose de très fort…
Lorsqu’on pratique la double grosse caisse en continu sur plusieurs mesures, la maîtrise n’est jamais acquise, et tu as toi-même tes jours sans. La double grosse est vraiment la partie la plus fragile du jeu d’un batteur…
Ne m’en parle pas, ça me stresse !! Cela fait dix jours que je fait des journées promo. La tournée démarre dans quatre jours. Je devrais être dans mon local en train de bosser. Ce que tu évoques est la problématique du batteur. Te rends-tu compte de la différence entre les jambes et les bras ? Les bras, nous les avons à proximité. On les maitrise mieux. Les jambes sont loin de nos oreilles. Nous avons tendance à moins les contrôler. C’est pourquoi je ne me déplace jamais sans mes practice pads. Dans le métal, les batteurs ont une sorte d’anxiété que les autres n’ont pas. Après, tu me diras que certains s’en foutent, mais moi pas.
Je comprends ton angoisse dans le sens où tes grosses caisses sont mixées au même niveau que les guitares…
Oui, à partir de là, impossible de se cacher. Ça passe ou ça casse. Il peut arriver que les guitaristes soient moins précis dans leur jeu. Personne ne le remarquera. Mais en grosse caisse, ça ne pardonne pas.
Il m’est effectivement arrivé de parler à un guitariste d’extrême qui me disait qu’il s’en fout d’être ultra carré car il joue avec un batteur précis…
Ha ha ha ! Ça fait du bien de parler à des batteurs ! On se sent tout de suite compris.
Est-ce que tu traînes toujours avec toi cette énorme plaque métallique qui te sert d’instrument à percussion ?
Figure-toi qu’elle a été oubliée sur un trottoir. Elle nous suivait depuis des années. Nous sommes revenus sur place et elle n’y était plus. J’avais vraiment mal au cœur.
Cette plaque avait d’ailleurs un nom…
Oui, « Babar ». Suite à cet événement, j’ai demandé à un artiste qui travaille le fer, de la reproduire. Je n’avais même pas de photos. Je lui ai envoyé un mail avec un dessin. Il l’a reproduite à l’identique, mais le son n’est pas aussi charmant que l’original.
C’est un peu comme le doudou d’un enfant. Tu auras beau lui donner une copie conforme, il saura tout de suite que ce n’est pas le vrai…
Voilà oui ! En plus, l’artiste a mis une grille à la base de la plaque qui donne un effet un peu “sableux”. J’aimerais bien l’enlever, sauf qu’il l’a soudée avec des outils de l’espace !!!
Il y a quelques années, tu avais formé un groupe de fusion métal avec ton frère, Empalot. Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté en tant que batteur ?
Un aspect groovy avec toutes ces ouvertures de charley et ces ghost notes dont je n’avais pas l’habitude. Il n’y avait quasiment pas de double pédale. Tout était basé sur le groove. Empalot m’a donc amené la culture rock/funk que j’ai clairement utilisée par la suite dans Gojira.
Jouer au Stade De France avec Metallica, au niveau où vous en êtes, est-ce une banalité ou est-ce que cela signifie quelque chose ?
Oh non, ce n’est pas une banalité. C’est énorme !
Vous faites pourtant pas mal de concert géants en open air…
Oui mais nous ne serons jamais blasés. Dès qu’on nous place sur une grosse date, nous réalisons l’honneur qui nous est fait. Le Stade De France, c’est quand même la Coupe du Monde de 98. C’est gravé dans la mémoire des Français. Pour la première fois, notre père peut parler d’une date de Gojira à ses amis. C’est un lieu que tout le monde connait, une sorte de brèche vers la normalité. Il y a une différence entre dire : « Je joue dans un groupe de métal et je fais des tournées », et « Je joue au Stade De France ».
Serais-tu prêt à revenir aux toutes premières tournées US, en guest d’Amon Amarth, où tu ne jouais pas sur ton matos, avec la ride dans les yeux ?
(Rires !) Oui, je suis capable de le refaire…
Pas de caprices de star donc…
Oh non ! Je suis plus dans le « lâcher prise » qu’avant. Il y a quelques jours, nous avons joué à la BBC. J’avais fait une demande de matériel sans pour autant vérifier la conformité. Il y a cinq ans, j’aurais mis mon nez dans tous les détails. J’y suis allé uniquement avec mes pédales. Aujourd’hui, je suis capable de jouer sur tout. Maintenant, pour le coup de la ride qu’on m’interdit de bouger, étant donné que nous avons un peu plus de notoriété, j’expliquerais gentiment que je ne peux pas en jouer si elle est collée à moi.
Ton dôme de ride possède un « ping » hallucinant. Sur quoi joues-tu ?
Il s’agit d’une Zildjian Mega Bell de 21”. J’en suis vraiment fan. Je ne peux plus m’en passer.
L’inconvénient des Mega Bell, c’est qu’on a l’impression de taper sur de la pierre…
Oui, mais je m’y suis fait. Justement, à la BBC, je ne l’avais pas amenée. J’avais à disposition une ride classique dont je n’arrivais pas à viser correctement le dôme. Une véritable épreuve, tant cette Mega Bell fait partie intégrante de ma personnalité. Cela prouve, comme je te le disais, ce « lâcher prise » alors qu’il y a cinq ans, ce genre de contrainte était inconcevable.
Pourquoi ton kit ne comporte t’il jamais de tom aigu ?
Dès qu’il s’agit de Gojira, je privilégie les gros toms avec des accordages très bas. Mes peaux sont très détendues. Les sons aigus n’ont rien à faire dans notre musique. Par contre, lorsque je bosse ma batterie, j’apprécie l’usage de ces toms. C’est juste que dans le cadre de Gojira, il me faut respecter une certaine cohérence artistique, servir la musique…
Tu as participé au rituel d’entrée en scène de Metallica, cette sorte de mêlée fraternelle de Rugby. Comment cela s’est-il passé ?
Un jour, nous nous sommes promenés en Lituanie lors d’un « day off » de la tournée de Metallica. Nous avons croisé James Hetfield. Nous sommes allés boire un thé ensemble et avons passé quatre heures à papoter et à refaire le monde. Un moment super agréable qui n’avait rien à voir avec ces moments convenus où il passait nous saluer en backstage. Ici, nous avons parlé de la vie ! Il m’a demandé plein d’infos sur la batterie et je lui ai aussi demandé plein de trucs sur lui. Tout y est passé, de l’anecdotique au professionnel. Nous avons noué ce jour là un vrai lien. Le lendemain, jour de concert, ils ont commencé à faire la ronde mais Lars était en train de discuter un peu loin. Alors que je sortais de ma loge, James m’appela : « Hey, on a besoin d’un batteur ! Viens toi ! Tu es batteur ! ». Puis Lars est revenu en courant et nous avons fait la ronde à cinq. Lars m’a alors dit : « Vas-y Mario, dis le ! ». Je ne comprenais pas sur le moment et j’avais la gorge nouée. Ce n’est qu’après coup que j’ai réalisé qu’il voulait que je dise cette espèce de prière rituelle. C’était trop pour moi. En définitive, c’est James qui s’y est collé : « Ok guys, we are in Lituany, and we’re gonna… ».
Selon un très grand nombre de fans ayant été devant la scène lors de festivals, les infrabasses générées par Gojira sont absolument terrifiantes, à la limite du supportable. Est-ce un aspect dont vous vous rendez compte, que vous contrôlez ?
En tant que musiciens, nous ne saurons jamais ce qui se passe réellement en façade.
Il suffirait d’envoyer des éclaireurs…
Bien sûr, nous en avons, mais il nous est difficile de réaliser par nous même. Nous avons bossé avec le même ingé son pendant douze ans, quelqu’un de très passionné et proche du groupe. Mais nous nous sommes séparés de lui car nous sentions qu’il nous fallait passer à autre chose. Il s’est parfois retrouvé en difficulté sur de très grands espaces. Etant très exigeants sur le son, nous ne pouvions plus l’accepter.
En 1999, en première partie d’Immortal à la Loco, alors que vous vous appeliez encore Gozilla, nous nous étions entretenus, et tu tenais déjà un discours écolo convaincu et foncièrement anti Mac Do. Es-tu toujours aussi incisif envers cette firme et ce qu’elle représente ?
(Sourire) Non, nous avons mis de l’eau dans notre vin. Nous ne pouvons pas passer notre vie à rester en réaction… Cela demande du temps. Nous ne sommes toujours pas des « mega fans » de Mac Do mais nous ne nous battons pas non plus au quotidien. Nous préférons nous concentrer sur notre musique, nos concerts, la qualité de notre son…
Il fut un temps où vous viviez dans une cabane au fond des bois, mais vous avez vite réalisé que c’était incompatible avec la vie d’un groupe…
Oui, comment faire dans les bois sans eau, sans chauffage ni électricité ? C’est cool, certes, mais c’est un calvaire quand on est musicien.
Un dernier message ?
J’espère que vous apprécierez l’« Enfant Sauvage ». Rendez-vous sur la route pour faire la fête ! •
Côté Matos
Batterie Tama Superstar Custom
18″x22″ Bass Drum
18″x22″ Bass Drum
5.5″x14″ Snare Drum
10″x13″ Tom Tom
11″x14″ Tom Tom
16″x16″ Floor Tom
5.5″x14″ Snare Drum
Hardware
Speed Cobra
Iron Cobra Lever Glide Hi-Hat Stand
1st Chair Ergo-Rider Drum Throne
Cymbales Zildjian
Ride mega Bell 21′
Rezo crash 18′
Rezo crash 19′
Rezo splash12′
China z custom 21′
Oriental china 21′
Z3 hit hat
Baguettes
Tama modèle signature Mario Duplantier