David Donatien
Interview en deux temps d’un artiste en liberté
C’est le nom de Yael Naïm qui figure sur les affiches et les pochettes d’album, mais elle est toujours étroitement associée au percussionniste-batteur David Donatien à toutes les étapes de son projet artistique. Nous avons rencontré David en mars dernier, au moment de la sortie de leur dernier album, “Older”, puis 8 mois plus tard, à la veille de leur tournée internationale et de la sortie de versions alternatives de chacun des titres d’Older.
Peux-tu nous raconter brièvement comment tu es passé du statut de percussionniste de séance à celui de directeur artistique ?
Je n’ai jamais appris les différents rythmes traditionnels, je me suis toujours débrouillé pour me faufiler dans la musique et y apporter des couleurs. J’ai joué des congas dans pas mal de groupes en Martinique avant d’arriver à Paris, où j’ai accompagné des artistes africains, maghrébins, brésiliens, rock… En fait, j’ai appris à jouer les différents instruments de percussion au fur et à mesure des rencontres avec les artistes qui me demandaient d’en jouer. Et je n’étais jamais un élément central, donc j’avais un certain recul par rapport à l’ensemble. Cette position m’a permis de devenir pour la première fois directeur musical avec Clémentine Célarié, et j’ai trouvé que cela constituait un assez bon parallèle avec la percussion : essayer de trouver ce qu’il manque à différents endroits, accentuer, donner du relief, appuyer le groove s’il en a besoin, savoir être discret ou puissant… Je me suis également occupé, pendant un moment, de monter les équipes de musiciens pour les tournées du label Sensitive Music. J’ai continué à faire mes armes de directeur artistique avec différents artistes, dont Bernard Lavilliers et Mayra Andrade, tout en continuant à jouer des percussions sur différents projets, jusqu’au jour où j’ai rencontré Yael, en 2004. J’ai été séduit par son univers, et j’ai simplement eu envie de l’aider. Comme j’ai toujours eu du matériel chez moi pour maquetter, nous avons commencé à travailler ensemble sur son premier album et je me suis retrouvé littéralement aspiré par le projet. Il y a toujours quelque chose sur le feu avec Yael !
Tu as fait des études d’arrangeur, à un moment donné ?
Non, et je ne connais rien en théorie de l’harmonie, vraiment ! Je me fie à mes oreilles. Ça me handicape, parfois, mais c’est aussi un avantage. Yael possède une grande connaissance harmonique, mais mon « inconscience » ouvre parfois des portes qu’elle n’aurait pas trouvées. J’ai de toute façon beaucoup de mal avec tout ce qui est pré-établi : les codes de la musique cubaine, la marche harmonique du blues… Les conventions m’ennuient, alors je cherche mes propres solutions pour gérer les diverses situations, et ça ouvre parfois des portes intéressantes. Je me pose tout de même régulièrement la question, avec l’expérience que j’ai acquise, d’apprendre toute cette fameuse théorie, pour sortir de mes limites. Mais je manque de temps pour cela, et je préfère finalement faire avec mes moyens, mais que le résultat soit vraiment personnel.
Je joue au clic, et j’adore ça ! J’ai ainsi l’impression de ne pas être responsable du tempo, mais de jouer autour. Ça me détend, vraiment. Car, en tant que percussionniste, j’ai l’habitude de jouer sur une base rythmique. Jouer de la batterie et me retrouver en tant que maillon principal de la rythmique me déstabilise. Le click, c’est le batteur avec lequel je joue d’habitude. Ça ne fait que quelques semaines que nous l’utilisons mais, pour moi, ce sont les vacances !
Combien de temps mettez-vous, avec Yael, pour élaborer un album ?
Le premier a pris deux ans et demi, le deuxième un an et demi, ce dernier un peu plus d’un an. Et il s’agit de production quotidienne, du matin au soir ! Yael compose en général très vite. Cette fois-ci, nous avons composé ensemble quelques-uns des titres, mais nous passons un temps fou à nous mettre d’accord, puis à jouer et enregistrer la plupart des instruments, que nous ne maîtrisons pas complètement, à être exigeants sur des détails qui nous semblent essentiels sur le moment mais que nous oublions quelque semaines plus tard. Et comme nous travaillons à la maison, il n’y a pas le couperet de la fin de location du studio, donc rien ne peut nous faire accélérer. En général, on nous arrache le mix final !
À l’occasion de cet album, vous avez eu quelques invités prestigieux. Je pense d’abord à Brad Meldhau, pour une version alternative de Coward.
Oui, c’était un honneur incroyable. Et j’ai été bluffé par l’humilité musicale de cet homme. Il était au service de la voix, écoutait à chaque instant ce qui se passait, et ça semblait naturel pour lui. C’était super.
David et les batteurs « En tant que percussionniste, j’ai joué avec un certain nombre de très bons batteurs : Maxime Zampieri, (chez Malia), Stéphane Bonvent, Karim Ziad, Julien Tekeyan, Franck Montegary, Olivier Monteil, Arnaud Renaville… Tous sont pour moi de vrais musiciens, qui ne considèrent pas la batterie comme une discipline olympique. L’ego, chez les batteurs, ça s’entend vite et ça me fatigue. J’aime les batteurs musicaux, qui suivent ce qui est en train de se passer dans la musique. Dré Pallemaerts est pour moi l’un des plus forts dans ce domaine : c’est un musicien très inventif, qui sait vraiment tout jouer, du jazz à la pop. Mais quand il n’y a rien à jouer, il ne joue rien ! Un des batteurs américains qui me touchent le plus est Brian Blade. Ses albums folk, dans lesquels il joue super simple, me sidèrent. J’adore aussi son travail avec Wayne Shorter, ce qu’il joue avec lui est vraiment mystique. En fait, ce qui me plaît, c’est soit une identité forte, sur laquelle on compte pour donner une couleur à un titre, soit une grande musicalité. Mais parfois, ça joue beaucoup sans identité et sans musicalité. Pour moi, il faut être sincère, ne pas jouer pour faire un plan ou pour déranger, mais pour exprimer ce que l’on a au fond de soi. |
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Il y a également le batteur légendaire Zigaboo Modeliste sur un titre. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
En fait, je ne savais pas du tout comment le joindre, ni même s’il jouait encore ! Après les Meters, il a accompagné Robert Palmer, puis je l’ai retrouvé sur un album d’Harry Connick Jr
(She, en 1994, NDR), puis j’ai perdu sa trace. Un jour, j’ai vu sortir un titre avec Mark Ronson, Erykah Badu et lui (un titre new orleans génial intitulé A La Modeliste, NDR), donc j’ai constaté qu’il était encore en activité. J’ai appris qu’il passait à Paris peu après, avec son projet personnel, et je me suis débrouillé pour le rencontrer avec Yael, l’inviter à la maison, dîner avec lui… Au cours de notre discussion, j’ai un peu mieux saisi la dureté des États-Unis. Quand la gloire est passée, on vous oublie complètement. Pourtant, quand tu lis sa discographie sur son site, (www.zigaboo.com, NDR), c’est impressionnant, et c’est un des batteurs les plus samplés au monde. Tout le rap des années 1980, quand ce ne sont pas des rythmiques piquées à James Brown, c’est lui. Il a donc accepté de jouer la batterie sur Walk Back Home, et nous avons même envisagé de monter un hommage aux Meters, avec Eric Legnini et Daniel Romeo, mais nos emplois du temps ne l’ont pas permis. J’espère que ça se fera un jour. En tout cas, j’ai été aux anges de côtoyer un tel monument. Le batteur des Meters, quand même !
Je ne connais rien en théorie de l’harmonie, vraiment ! Je me fie à mes oreilles. Ça me handicape, parfois, mais c’est aussi un avantage. Yael possède une grande connaissance harmonique, mais mon « inconscience » ouvre parfois des portes qu’elle n’aurait pas trouvées.
Hormis le titre avec Zigaboo, je trouve que les parties de batterie sont globalement “Older” que dans le précédent album. C’était une volonté dès le départ ?
Ça s’est fait assez naturellement. Jusque-là, Yael composait de manière très intimiste, dans sa chambre, au piano. Ça donnait des ambiances assez cotonneuses, chaleureuses, donc avec une énergie assez limitée. J’utilisais donc beaucoup de balais, de gros afterbeats n’ayant pas leur place. Sur “Older”, nous avons commencé à composer ensemble sur des farfisas, en utilisant les accompagnements rythmiques tout pourris qu’ils produisent. Et nous avons ensuite ajouté les autres instruments. L’énergie finale est donc très différente. Comme le fait un percussionniste, lorsque le titre est monté, j’essaye de voir ce qui manque, ce qu’il faut soutenir ou pas, et nous nous amusons là-dessus avec Yael pendant des mois. Je joue la basse, la batterie, les claviers, un peu de tout en fait, et au fur et à mesure, nous remplaçons mes basses par celles de Daniel Romeo, qui nous accompagne aussi sur scène, et faisons appel à différents invités si besoin. Mais je ne conçois pas mes parties de batterie en patterns très précis, je joue comme je le sens. Et ensuite, nous examinons chaque élément à la loupe pour que ça fonctionne au mieux.
Sur quel type de batterie joues-tu ? Un kit classique ou enrichi de percussions ?
Je suis endorsé par Pearl, et je jouais dessus jusqu’à maintenant, mais j’ai acquis récemment une vieille Ludwig de 1969, un petit bijou dans un état magnifique, que j’aimerais bien jouer sur scène. Ce sont des fûts de 22, 13 et 16 pouces, j’ai toujours mes Zildjian K Constantinople, et c’est tout, pas de percus. Notre musique est très pop, je n’ai jamais eu d’idées de parties de percussion dessus. J’ai cependant un SPD-SX de Roland, pour lancer des samples sur un titre qui n’est pas sur le disque. Mais la totalité des séquences seront envoyées par une des choristes, pour retrouver les sons de clavier et de boîte à rythmes de l’album. Du coup, je joue au click, et j’adore ça ! J’ai ainsi l’impression de ne pas être responsable du tempo, mais de jouer autour. Ça me détend, vraiment. Car, en tant que percussionniste, j’ai l’habitude de jouer sur une base rythmique. Jouer de la batterie et me retrouver en tant que maillon principal de la rythmique me déstabilise. Le click, c’est le batteur avec lequel je joue d’habitude. Ça ne fait que quelques semaines que nous l’utilisons, mais, pour moi, ce sont les vacances !
Tu jouais de la batterie avant de travailler avec Yael ?
Non, j’ai commencé à en jouer juste avant le début de nos tout premiers concerts. J’en avais joué comme un percussionniste sur le premier album, en arrangeant le son en post-production, mais en jouer sur scène, c’est autre chose. Je suis en pleine découverte de l’instrument. J’ai appris au fil des tournées, et sur celle-ci, je vais pouvoir jouer plus que d’habitude. J’adorerais avoir quelques mois pour travailler tranquillement, mais je n’arrive pas à libérer mon emploi du temps. J’aimerais développer mon vocabulaire, trouver des ponts dans la gestuelle entre mes habitudes de percussionniste et ce que je dois jouer avec des baguettes. Cela dit, cette méconnaissance me permet, encore une fois, de jouer différemment ! Parfois, j’ai fait jouer de très bons batteurs sur nos titres, et j’ai toujours trouvé que ça fonctionnait moins bien, la musique ne ressemblait pas à ce que j’avais envie d’entendre. La fragilité m’intéresse bien, en fait.
Du coup, quelle sera la formation sur scène ?
Yael au chant et au piano, moi à la batterie, Daniel Romeo à la basse, et les Threesome Sisters aux chœurs et aux claviers et séquences.
[HUIT MOIS PLUS TARD]
Alors, as-tu finalement adopté ta vieille Ludwig sur scène ?
Absolument, et j’en suis très content ! Et je l’ai complétée par une vieille caisse claire Slingerland. Mais j’ai laissé tomber le SPD-SX, nous ne jouons plus le titre sur lequel je lançais des samples, et les boucles que je lançais aussi dessus ont été exportées sur l’ordinateur. Donc je n’en ai plus l’utilité. Pour l’instant ! Car nous allons changer tous les arrangements ! Les Threesome Sisters, ces trois choristes qui nous accompagnaient jusqu’à maintenant, ont monté un groupe et nous quittent. Ce concert au Trianon constituait donc la fin d’un cycle, et Yael et moi avions de toute façon envie de changement. À la place, nous aurons quatre choristes instrumentistes, qui vont jouer des cordes, des guitares, du clavier…Tu pourras entendre ça à Paris le 12 mai prochain, à l’Olympia.
Je voulais t’en parler, justement. D’habitude, les artistes font une date à Paris en début de tournée dans une « petite » salle, puis reviennent en fin de tournée au Zénith, voire à Bercy. Vous, depuis mars, vous passez régulièrement à Paris dans des salles modestes : Cirque d’Hiver, Trianon, Bouffes du Nord… Pour quelle raison ?
Oui, nous préférons faire des salles atypiques. La tournée a commencé au musée La Piscine, à Roubaix, avec une scène posée sur l’eau. Le Cirque d’Hiver, cette scène à 360 degrés, c’était incroyable aussi. Les Bouffes du Nord, un endroit magnifique, nous voulions y jouer depuis longtemps, et le Trianon, c’était également une scène sur laquelle nous n’avions jamais joué. Nous avons envie de profiter pleinement des lieux et de garder le contact avec le public, qui se perd dans une grande salle. Au Trianon, l’ambiance était intimiste, vu que le public était assis, mais il y avait une super énergie. Nous essayons de vivre chaque concert comme une expérience unique.
Donc, même si tout continue à bien aller, vous ne ferez pas une salle plus grande que l’Olympia ?
Non, je ne pense pas. Nous avons pensé au Théâtre du Châtelet, ou à la Philharmonie de Paris. Nous avons besoin d’investir un lieu, de vivre quelque chose de nouveau pour nous et le public, d’en faire un moment à part, et d’en profiter au maximum. C’est aussi la raison pour laquelle nous multiplions les projets annexes : fin janvier, par exemple, nous jouerons, Yael et moi, deux soirs à Lyon avec le Quatuor Debussy, dans la chapelle de la Trinité, où très peu de concerts sont organisés. À chaque fois, il nous faut donc retravailler les arrangements ensemble, mais ça nous excite vraiment. Faire le même show pendant un an, ce n’est vraiment pas notre truc.
Avec tout ça, j’imagine que tu n’as pas eu le temps de travailler la batterie !
Eh bien non, toujours pas ! Car, en plus des réarrangements permanents des titres pour la scène, nous avons travaillé sur un Older « bis », avec plein de collaborations (des artistes de la scène électro comme C2C ou General Electriks, Camille, le Quatuor Debussy), qui va sortir en ce début d’année en numérique. Mais je ne désespère pas. Quand j’ai une envie très forte comme celle-ci, je finis par craquer et par m’y mettre, et je ne suis pas loin de ce moment-là ! D’autant que nous allons bientôt partir jouer à l’étranger, notamment aux États-Unis au mois d’août, et nous avons décidé de prendre le temps de nous poser à chaque fois, en particulier pour avoir le temps de rencontrer des artistes sur place. J’aurai peut-être aussi le temps de me poser sur mon instrument ! •
Les 3 albums cultes de David
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“Headhunters”, de Herbie Hancock. C’est mon premier choc musical. Mon oncle Jocelin Donatien, qui était percussionniste, me l’a fait découvrir lorsque j’avais environ 7 ans. C’est mon souvenir suprême de musique, notamment Chameleon, avec ce son de basse énigmatique au début. J’ai passé des heures à jouer dessus les congas que m’avait offert mon père. |
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“Parade”, de Prince. Celui-ci aussi m’a suivi pendant très longtemps, d’autant que j’ai pu assister au concert mythique de Bercy peu après sa sortie. J’adorais le funk, mais lui y ajoutait une liberté harmonique qui m’a vraiment marqué. |
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“We Want Miles”, de Miles Davis. Ce que joue Mino Cinelu sur cet enregistrement est juste génial. C’est vraiment l’album qui m’a donné envie de devenir percussionniste |