FIDOCK WON’T ROCK ANYMORE…

Fidock won’t rock anymore

Stephen Fidock
Stephen Fidock à Paris, en 2010 (Photo : © Marc Rouvé)

Stephan Fidock, le créateur de la marque australienne qui portait son nom, nous a quittés le 28 avril 2020. Retour sur le parcours d’un grand monsieur de la lutherie.

Ils ne sont pas nombreux à décider un beau jour, contre vents et marées et en dépit d’une hégémonie évidente des 10 plus grands fabricants qui se partagent un marché déjà capricieux et impitoyable, de dépasser le stade du rêve pour concrétiser le fruit de leur propre conception, qu’il s’agisse d’une caisse claire ou d’une batterie. C’est une chose rare, et il nous faut mesurer cette chance que nous offre ces artisans, souvent exceptionnels, de pouvoir bénéficier d’une alternative à la tendance, ou dans le pire des cas, à un formatage dicté par une production fatalement soumise aux exigences de la demande majoritaire. Certains ont un jour réussi à se positionner tant bien que mal dans une « niche », tels des outsiders, avec un certain poids dans la balance et une véritable équipe autour d’eux (Ayotte, Canopus, C&C Drums, Dunnett, Craviotto, Asba…). Beaucoup d’autres, comme les Australiens Brady et Fidock (et en France, Art Custom Drums, Eleven Drums, William Amadieu, Daniel Signoud, West Custom Drums et quelques autres qui fabriquent leurs propres fûts), ont préféré fonctionner comme des électrons libres, désireux de concrétiser avec leur mains une production correspondant à leur propre conception du son et de l’esthétique. Brady avait commencé son activité en 1980 et a cessé de produire en 2015, et sur le même continent, Fidock a connu son heure de gloire entre 2010 et 2015, avec de très beaux produits principalement centrés sur les caisses claires… Il nous laisse le souvenir intemporel de sa personnalité discrète et d’un tempérament toujours plein d’humour, et de ses productions, dont la signature sonore était redoutablement « fat » !

Une vraie dimension esthétique et sonore
Avant de se lancer dans cette entreprise, comme c’est souvent le cas, Stephan Fidock était batteur professionnel. Cet hommage fut d’ailleurs l’occasion de le découvrir très jeune, via des documents vidéo au sein du groupe australien The Reels, dans lequel il jouait au début des années 1980. Déjà à cette époque, on peut entendre qu’il affectionnait les sonorités de caisses claires mates et grasses, une identité sonore qu’il privilégiera lorsqu’il fabriquera pour d’autres quelque 30 ans plus tard. L’ironie du sort, c’est qu’à l’époque il jouait sur Staccato… pas vraiment les batteries les plus flatteuses sur le plan acoustique ! Mais lorsqu’il commença à chercher à produire ses propres caisses claires (sans nul doute inspiré par Chris Brady), il n’eut de cesse de creuser vers le son qu’il entendait, avec une technique de fabrication très spécifique ! Chaque fût était en effet assemblé à partir de douves de bois (comme une conga), avec le moins de colle possible, de façon à laisser résonner au maximum cette matière qui était ensuite évidée de l’intérieur pour arriver à une épaisseur totale de 5 à 6mm maximum, et une légèreté sans pareil ! Stephan sculptait également ses renforts de chanfreins dans la masse pour un résultat absolument unique. C’est à l’oreille que Fidock décidait de l’épaisseur du fût, en le tenant sur un doigt et en tapant avec son poing sur le bois pour en écouter la vibration naturellement longue et grave ! Les essences utilisées, du blackwood (une variété d’acacia) et du bois de myrte (Myrtle Beech ou Nothofagus cunninghamii), provenaient bien entendu d’Australie, et parmi des caisses claires que nous avions testées en 2011, le luthier avait trouvé du bois de myrte sans doute âgé de 300 ans ! Côté esthétique, la simplicité et l’élégance même : un bois verni, à peine satiné (avec une technique identique à celle utilisée pour les meubles ou les violons), des coquilles tube, un déclencheur Tricks, et des cercles en bois qu’il fabriquait également lui-même en les cintrant à la vapeur. Chaque instrument était bien entendu unique (dont des 13×9’’ incroyables), rarement une caisse claire s’étant avérée aussi légère et « fat » en même temps.

Une vision débonnaire du commerce
Dans sa démarche créatrice et sa quête d’un instrument qui lui corresponde, Stephan Fidock était épaulé par Charles Sandford, véritable spécialiste des essences de bois et de la découpe des troncs. C’est donc avec lui qu’il a développé sa propre technique d’évidage de fût et de cintrage des cercles, un savoir-faire qui demanda de nombreuses heures de mise au point. Sur le plan musical, humain et technique, Stephan était donc très exigeant, et il se distinguait par une réelle originalité sur un plan marketing (voir l’une des photos réalisées avec un concept qui alliait un physique de boucher et le terme de « gras » qui évoquait le son de ses productions). En revanche, ce véritable artiste, qui gardait un souvenir ému d’un long séjour passé en France, se plaignait régulièrement de la difficulté qu’il rencontrait pour s’imposer sur le marché américain. Présent lors d’un NAMM Show en 2011, et malgré des échos de ses caisses claires testées par Modern Drummer (avec Leon Ndugu Chancler comme principal endorsé connu), il n’a malheureusement jamais réussi à s’imposer. Trop généreux, et sans aucun doute pas assez « business man », bien trop rêveur et idéaliste dans un monde qui ne laisse pas beaucoup de chance à ce type de profil.
Comme toute l’équipe de Batteur Mag, tous ceux qui l’ont rencontré et qui ont eu la chance et l’honneur de passer du temps à discuter avec lui, se rappellent cet homme charmant, calme, drôle, attachant, car doté d’un véritable charisme et habité par une réelle passion. Il laisse un souvenir bien présent, et ses caisses claires resteront parmi les meilleures productions testées au sein de nos pages. •

Laurent Bataille

 

 

 

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