GRADY TATE

Grady Tate
Gentleman du groove

Les années passent et les étoiles finissent par s’éteindre, inexorablement. Grady Tate avait sa place au firmament, dans la constellation des batteurs de la « Great Black Music ». Atteint de la maladie d’Alzheimer, il a définitivement quitté ce monde le 8 octobre 2017, nous laissant en héritage son jeu élégant et sa voix charmeuse.

 

S’il ne fallait retenir qu’un terme pour définir Grady Tate, je choisirais la classe. Il y avait une élégance naturelle chez cet homme : son allure, son jeu de batterie, sa façon de chanter. Derrière les fûts, il a collaboré avec les plus grands et s’est nourri de ces expériences pour tracer sa propre voie, en tant que chanteur-leader. Sur le plan rythmique, il a contribué à la naissance du style soul-jazz à la fin des années 1960.

Musicien éclectique

Né Grady Bernard Tate, en 1932, en Caroline du Nord, il émigre en 1963 à New York après des débuts professionnels à Pittsburg, avec entre autres Stanley et Tommy Turentine. New York est La Mecque du jazz, le lieu où cette musique se régénère sans cesse avec de nouvelles influences. Les claves afro-cubaines contaminent le swing ternaire, tout comme les rythmes binaires de la soul, ce que fera le rock durant la décennie suivante. Lorsque Grady Tate débarque à New York, il rejoint le big band de Quincy Jones, une grande leçon de musique. Il s’illustre également dans des formations plus réduites, avec l’organiste Jimmy Smith ou le guitariste Wes Montgomery, deux artistes qui créent un son inédit, auquel contribue le batteur avec son jeu précis, sobre et néanmoins étincelant. On retrouve sa patte sur de nombreux disques du label Verve, mais aussi sur ceux d’Impulse et d’Atlantic, souvent en tandem avec le contrebassiste Ron Carter. Les années 1970 seront tout aussi fructueuses, avec sa contribution aux productions de Creed Taylor, sur le label CTI, qui fait un crossover entre jazz et autres mouvements musicaux, notamment soul et brésilien.
La liste des crédits discographiques de Grady Tate est trop longue pour être énumérée, retenons ses plus marquantes collaborations : Count Basie, Duke Ellington, Louis Armstrong, Stan Getz, Roland Kirk, Grant Green, Oliver Nelson, les vocalistes Tony Bennett, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Peggy Lee… Des stars de la pop également, comme Paul Simon ou Bette Midler. Ajoutons à ce CV d’innombrables séances pour les musiques de film ou de télévision, en particulier avec Lalo Schifrin, et sa participation à des comédies musicales à Broadway. Il a même travaillé avec la cantatrice Jessye Norman pour un hommage à Duke Ellington, « The Duke and the Diva ». Un tel éclectisme force le respect.

Batteur et chanteur

Un des premiers chocs musicaux de Grady Tate est d’ailleurs la musique classique, qu’il découvre à l’âge de quatre ou cinq ans sur le phonographe familial. Le bambin prend l’habitude de chanter en écoutant les disques. Lors d’un concours de jeunes talents, bien que haut comme trois pommes, il ose monter sur scène pour pousser la chansonnette et découvre par la même occasion la batterie, installée là, au fond de la scène, qui lui fait de l’oeil. Il en parle à ses parents, qui, quelques mois plus tard, lui font la surprise de lui offrir un set complet pour Noël.
Le jeune Grady se forme de manière autodidacte, sa mémoire est phénoménale, il apprend vite. Lorsqu’il est au lycée il s’initie à la percussion classique, aux timbales en particulier, qui l’attirent du fait que ce sont des instruments mélodiques. Grady est naturellement doté d’une bonne oreille, et il adore chanter. Ces aptitudes vont l’aider dans sa carrière. Il sait se mettre à l’écoute des artistes avec lesquels il travaille, pour leur offrir le meilleur. En retour, il apprend beaucoup à leur contact, notamment des chanteuses et chanteurs qu’il accompagne. De quoi lui donner l’envie de franchir le pas.
Grady Tate se considérait autant comme chanteur que comme batteur. Son premier essai discographique en tant que vocaliste est une adaptation de la chanson de Michel Legrand, Les moulins de mon cœur, qu’il enregistre en 1968. Suivront d’autres reprises très personnelles, des Beatles et de Van Morrison notamment.
Sa voix de baryton excelle dans les ballades, mais aussi dans le registre funk (le savoureux Be Black, Baby, digne des meilleures BO de films « Blaxploitation », ou sa performance sur le titre Be Mine, avec Grover Washington Jr.). Sur le tard, il enseignera l’improvisation vocale à la Howard University et coachera certains batteurs, mais il ne se prétendra jamais prof de batterie, arguant qu’il n’a pas assez étudié cet instrument, qu’il maîtrisait pourtant à merveille.

Grady Tate a contribué à l’essor du soul-jazz, genre hybride né dans les 70’s, qui combine pulses ternaire et binaire avec un son léger et précis, une approche novatrice de la batterie qui fera des émules et dont les grooves seront abondamment samplés par les rappeurs. Avec modestie, ce gentleman du groove aimait se définir comme un gardien du tempo, un accompagnateur. Il détestait prendre un solo et faire étalage de technique, considérant la sienne comme moyenne. La classe, je vous disais… •


Discographie sélective

• Lou Donaldson, « Rough House Blues » (1964)
• Jimmy Smith, « Got My Mojo Working » (1966)
• Gabor Szabo, « Gypsy ‘66 » (1966)
• Stan Getz, « Sweet Rain » (1967)
• Roy Ayers, « Stoned Soul Picnic » (1968)
• Quincy Jones, « Walking in Space » (1969)
• Roberta Flack, « Killing Me Softly » (1973)
• Bette Midler, «Bette Midler » (1973)
• Paul Simon, « There Goes Rymin’ Simon » (1973)
• Michel Legrand, « After The Rain » (1983)
• Kenny Baron, « The Traveler » (2007) 

En tant que chanteur :
sur ses propres albums, « Windmills Of My Mind » (1968), « From the Heart : Songs Sung Live at the Blue Note » (2006).