JOHN JR ROBINSON

John JR Robinson

33 ans au service du groove

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Reconnaissable par ce placement incroyable dont il continue de nous gratifier, John « JR » Robinson reste sans aucun doute l’un des plus grands batteurs de la planète groove.

Lorsque l’on mentionne le nom de John « JR » Robinson, on pense immédiatement aux dizaines de titres entrés dans la légende auxquels il a participé, distillant ce fameux « feel good groove » qui nous fait taper du pied sans trop que l’on sache pourquoi. Les producteurs et artistes qui ont collaboré avec JR depuis sa participation au célèbre groupe de funk « Rufus » en 1978, eux, savent pourquoi ils l’appellent, lui et pas un autre ! Quincy Jones, David Foster, Chaka Khan, Michael Jackson, Barbra Streisand, Peter Frampton et des dizaines de stars du music business ne tarissent pas d’éloges sur la magie de son drumming et son attitude à la fois toujours positive et créative, dans les studios ou sur scène. Ceux qui ne connaissent pas son placement légendaire pourront commencer par écouter All Night Long (Lionel Richie), I’m So Excited ou Slow Hand (Pointers Sisters), Just A Gigolo ou California Girls (David Lee Roth), Higher Love (Steve Winwood), Change The World (Eric Clapton), We Are The World (USA For Africa), ou Rock With You, Bad et The Way You Make Me Feel (Michael Jackson), qui suffiraient à le placer bien en haut de la pyramide, parmi les meilleurs des grands batteurs. Mais JR ne s’est pas arrêté là et continue depuis plus de 30 ans à enregistrer tubes et musiques de films pour Steve Winwood, Natalie Cole, George Benson ou Madona, en restant dans le cercle de batteurs les plus appelés dans les studios de L.A., où il vit depuis 33 ans. Même si cette activité a bien entendu drastiquement baissé depuis une dizaine d’années, c’est un homme détendu, jovial et extrêmement sûr de lui que nous avons eu le plaisir de rencontrer lors du salon de Francfort. Un coca à la main et pas une seconde stressé par le show qui l’attendait une heure plus tard (pour lequel il ne faisait même pas de balance), cet ancien basketteur (il mesure 1m95 !) rigole avec tout sauf avec le time et le groove. Un véritable monument de la batterie !

Depuis ta dernière interview dans Batteur, j’imagine que la scène a beaucoup changé et évolué. Qu’en est-il précisément pour toi ?
La scène a changé depuis les 15 dernières années, mais j’ai eu la chance de m’y être préparé. Depuis longtemps déjà, les batteurs doivent manier des outils permettant de produire plus ou moins eux-mêmes leurs propres enregistrements avec Pro Tools, Logic ou d’autres machines et logiciels. Depuis des années j’ai mon studio à la maison et si je m’apprête à le restructurer car il y a quelques changements dans ma vie, je ferai toujours en sorte de pouvoir travailler de chez moi, car ce n’est plus tous les jours que l’on enregistre en studio, même si je fais encore partie de ceux qui restent dans le cercle de ceux qui sont appelés. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai enregistré la BO du deuxième volet du film « Very Bad Trip » (The Hang Over, en anglais, ndr), que l’on a traité de la même façon que le premier, et on s’est bien amusés.

Pour les musiques de film, arrive-t-il aux musiciens de réagir à l’image et de proposer quelque chose ? Ou tout est-il écrit ?
La plupart du temps, comme pour cette séance-là, tout est écrit, mais en musique de films comme pour d’autres types de productions, on a encore une voix pour éventuellement proposer des choses. Cette séance avait lieu dans l’un de mes studios préférés de L.A., mais il m’arrive également de recevoir directement de la musique sur laquelle je dois enregistrer une batterie dans mon studio.

Dans ce cas, comment procèdes-tu ?
Je demande directement toutes les pistes, afin de pouvoir créer mon propre mix en enlevant éventuellement un élément qui pourrait me déranger, comme la mélodie par exemple… Je rigole bien entendu ! Mais il m’est très utile de pouvoir équilibrer moi-même les pistes.

Utilises-tu la piste de click que l’on t’a envoyée ?
Non, je programme mon propre click à la noire, avec ce bon vieux son genre sample MPC, un peu désagréable, mais que l’on entend bien !

Je pensais que ton tempo légendaire couvrait toujours le click !
(Rires) Ça, c’est la vieille blague que l’on faisait avec Neil Stubbenhaus à la basse, lorsque l’on disait que l’on n’entendait pas le click tellement nous étions dessus ! Mais rassure-toi, la plupart du temps, je le mets bien fort dans le casque et je l’entends.

Comment procèdes-tu lorsque tu joues un morceau swing avec le click ? Je trouve difficile de swinguer avec un click qui t’assène le tempo à 150 à la noire…
Je te comprends ! L’une des possibilités, si le bassiste joue avec toi, c’est de demander qu’il n’ait pas le click et que tu ne l’entendes pas trop fort dans ton casque, cela facilitera les choses. En revanche, pour des croches égales, c’est bien de pouvoir l’entendre vraiment bien.

Comment conseilles-tu de travailler au click ?
A la noire et lentement, pour être sûr de soi et de l’espace entre les coups. En jouant par exemple une ballade à 56 à la noire, avec des doubles croches au Charley, tu verras qu’il y a beaucoup d’espace entre les notes. J’aime bien conseiller aux batteurs de s’enregistrer avec un petit magnéto placé derrière la porte de leur local, en se concentrant sur un seul groove sans aucun fill, car en réécoutant, ils entendent tout de suite si le pattern grosse caisse/caisse claire groove ou pas et s’ils accélèrent ou ralentissent.

As-tu changé quelque chose dans ta position ou as-tu gardé cette inclinaison de caisse claire ?
Je l’ai peut-être montée de quelques centimètres et à peine moins inclinée. À l’époque des séances avec Michael Jackson, j’étais obsédé par le fait de taper pile au milieu, alors qu’aujourd’hui je tape où je veux et je tire plein de sonorités de ma caisse claire. L’inclinaison me permet vraiment de jouer “match grip” sans me poser de questions. Cela dit, lorsque je veux jouer be bop, je tiens ma baguette gauche en position tambour sans utiliser le rimshot.

Tu joues toujours pieds à plat ?
Oui, du moins le pied droit, car selon le son que je veux tirer des cymbales de charley, je laisse le gauche taper et bouger de différentes façons.

Le pied à plat t’a-t-il aidé à confirmer cette assise légendaire dont tu fais preuve ?
Complètement ! Il est rivé au sol et le talon ne décolle pas. Mais c’est grâce à mon premier prof, Ed Soph, qui était presque tyrannique avec ça. Au début, cela me faisait mal (il se touche le tibia droit) ! Mais aujourd’hui, je lui en suis reconnaissant, car cette technique me permet réellement de jouer sur le temps et non pas en avant comme beaucoup d’autres batteurs.

Lorsque tu étais à Berklee, as-tu également étudié avec Alan Dawson ?
Oui, pendant 6 mois. Il a été un prof fantastique et je lui dois ma capacité à pouvoir m’exprimer de la nuance la plus douce à la plus forte. Il me faisait travailler les rudiments et j’en avais même créé un à base de flas (il le joue sur sa cuisse). On prenait les pages du Stick Control et du Syncopation de la page 34 à 45 (il joint les mains) – et maintenant prions ensemble ! (rires) -, et on jouait les figures écrites en remplissant selon les figures de rudiments, toujours avec un métronome. C’était un prof génial !

Lorsque tu évoques ta facilité à groover naturellement, tu dis souvent avoir été gratifié d’un don divin et bénéficier d’un excellent patrimoine génétique.
C’est vrai, mais tu sais, j’ai également eu des choses à régler au fil du temps, et pour tenir dans ce métier avec la multitude de drummers actuels, il a fallu que je me maintienne toujours à niveau.

En parlant de drummers toujours plus rapides et impressionnants, que penses-tu des gospels drummers et de toute cette technique ?
Je pense que la vitesse ou les techniques extrêmes actuelles que développent ces batteurs ne servent pas à grand-chose dans les studios. Ça marche à l’église, mais il y a trop d’informations pour habiller une chanson. Vinnie Colaïuta qui, selon moi, vient d’une autre planète, allie à lui seul les deux mondes, sachant que je considère que de nos jours, il n’y a plus vraiment de bonnes chansons écrites, ce qui est un autre problème…


À l’époque des séances avec Michael Jackson, j’étais obsédé par le fait de taper pile au milieu, alors qu’aujourd’hui je tape où je veux et je tire plein de sonorités de ma caisse claire.


Tu es amené à enseigner pour des démos ou des masterclasses, quels sont les défauts que tu trouves le plus souvent chez les élèves ?
J’interviens pour des démos, mais je n’aime pas trop la batterie solo et je m’ennuie très vite. Pour les cours, j’interviens généralement pour 6 ou 10 élèves maxi et je regarde principalement leurs défauts pour les corriger selon ce que je constate. Je vois beaucoup de tensions, des batteurs qui ne dansent pas beaucoup en jouant et dont les mouvements sont souvent très raides.

J’ai l’impression que, sans avoir travaillé la technique Moeller, tu as des gestes souples naturellement…
Tout à fait, j’ai toujours eu une gestuelle assez ample et tu as entièrement raison, je ne me suis jamais penché sur la technique Moeller (rires) !

Parle-nous du DVD pédagogique que tu as récemment tourné en collaboration avec le Drum Channel.
Nous avons effectivement réalisé non pas un DVD, mais trois ! Ils ont été tournés dans les studios de Drum Channel, avec deux kits. Le kit DW dans les tailles que j’utilise le plus pour enregistrer, et à ma droite un kit jazz serie DW 4 fûts équipé d’une grosse caisse de 18’’. J’évoque pour commencer des techniques d’accordages divers correspondant à mon approche globale, et je donne des conseils pour le choix des cymbales, en précisant la façon de les mélanger au sein d’un kit de batterie. Ensuite j’aborde mon concept du placement rythmique et du tempo en général. Pour finir, je parle des différentes techniques de placement des micros, car je me suis rendu compte que peu de drummers connaissaient ce sujet.

Une bonne idée dans la mesure où, comme tu le disais, de plus en plus de batteurs vont être amenés à enregistrer de chez eux !
Ne m’engage pas trop sur ce sujet (rires), car je trouve sympa que chacun ait son propre studio et que la technologie actuelle permette réellement à n’importe qui de s’enregistrer, mais je râle lorsque j’entends de plus en plus de mauvaises chansons mal enregistrées (parfois avec un seul micro), directement envoyées au mastering avec un mix MP3 !

Un dernier conseil aux lecteurs, de la part de l’un des Kings des studios ?
Ne pas tomber amoureux de la chanteuse (rires) ! Plus sérieusement, ne pas fumer de pétards, arriver bien en avance pour monter sa batterie lorsque l’on n’a pas la chance d’avoir, comme moi, des gens qui s’en chargent. Ne surtout pas essayer d’en mettre partout, décider d’une partie et ne rien rajouter au moment de la prise, penser à jouer en équipe avec les autres membres de la section rythmique. Et enfin, apprendre à respecter les choix du producteur et ceux de l’artiste, qui ne sont pas toujours en accord avec ce que tu veux jouer, en écoutant toujours avant d’ouvrir la bouche pour parler. De toute façon, en studio, le batteur n’aura jamais le dernier mot ! •