JOHN MACALUSO

John Macaluso

Drums Power

Lorsqu’on évoque le drumming metal prog’,  les premiers noms venant à l’esprit sont Mike Portnoy, Mike Mangini, Jason Rullo… Mais John Macaluso est rarement évoqué. Pourtant, il est l’un des batteurs les plus doués de sa génération, ayant fait ses preuves chez Ark, Yngwie Malmsteen, James LaBrie, Symphony X, et maintenant Labyrinth (avec qui il vient d’enregistrer l’album “Architecture Of A God”). Place au maestro, qui évoque ici ses rêves de gosse, ses plus belles rencontres et ses plus gros challenges…

Peux-tu parler de tes débuts ?
J’ai commencé à jouer de la batterie à l’âge de onze ans. À l’origine, c’est la guitare qui m’attirait, mais j’ai trouvé l’instrument beaucoup moins instinctif. Je n’arrivais pas à l’accorder. Au bout de deux semaines, ça m’a gonflé et je me suis mis à la batterie. Mon premier héros est Keith Moon, que j’ai découvert dans le film Tommy. Puis est venu Neil Peart. À partir du moment où j’ai eu mon premier kit, je n’ai jamais cessé de jouer, tous les jours, inlassablement.

Il paraît que tu as eu Joe Franco en tant que professeur. Tu confirmes ?
Oui !

Joe a été le premier à éditer une vidéo éducative sur la double grosse caisse dans les années 80. T’en souviens-tu ?
Bien sûr ! Cette vidéo et les transcriptions correspondantes sont LA Bible ! Tu sais, je suis originaire de New York, tout comme lui. C’était une figure locale, qui s’est fait connaître avec The Good Rats, que je vénérais. Je le considère comme mon mentor. Un jour, j’ai appris qu’il donnait des cours dans un magasin de musique non loin de chez moi. Autant dire que j’ai foncé ! Mais il m’a aussi briefé sur des tas d’autres choses, comme l’enregistrement en studio, la manière de taper fort sans se crever (par l’utilisation du poignet), la maîtrise du jeu au click (au fond du temps, sur le temps…), l’accordage…

Que fait-il à présent ?
Il joue de temps en temps, fait quelques émissions de TV, mais c’est avant tout un grand producteur de New York.

Le message principal de Joe sur la pratique de la double grosse caisse était de savoir réaliser avec les pieds ce que l’on faisait avec les mains. Adhères-tu à cette approche ?
C’est effectivement ce que Joe et aussi Terry Bozzio m’ont conseillé. Concrètement, j’ai laissé tomber l’idée d’aborder la double en “papa maman”. La grosse caisse et la caisse claire n’ont pas le même type de réponse. J’ai donc appliqué leurs préceptes, mais uniquement sur le frisé.

Tu as à ton tour joué dans The Good Rats, n’est-ce pas ?
Oui, j’ai eu cet honneur. C’était au début des années 90. J’ai vécu comme dans un rêve et le groupe était ravi, car je jouais les morceaux exactement comme Joe.

Dans ton parcours, tu as également bénéficié de l’enseignement de champions du jeu aux pieds, tels que Tommy Aldridge et Rod Morgenstein. Que t’ont-ils apporté par rapport à Joe ?  
Chacun avait une approche différente. Tommy était très intéressant, car il a appris à jouer sans l’aide de personne. Sa manière d’enseigner était peu orthodoxe, plus liée à la notion abstraite de feeling qu’à des bases théoriques bien établies. Quant à Rod, il m’a refilé énormément d’idées que j’ai pu mettre à profit dès le premier album d’Ark.

Tu joues parfois en double pédale, et parfois en double grosse caisse. Quel système préfères-tu ?
Sans hésiter la double grosse caisse, qui me permet de jouer plus vite et plus fort !

Vu ton CV, il semblerait que tu ne sois appelé que par de grands techniciens. Comment expliques-tu cela ?
Sans vraiment le vouloir, j’ai très vite été catalogué comme « le batteur ultra-technique ». C’est pourquoi on ne m’a jamais proposé de jobs faciles (Rires). J’en retire une certaine fierté, même si la pression est grande. J’ai très souvent été appelé dans des conditions très tendues. Je ne compte plus les fois où j’ai dû apprendre toute une set list deux semaines avant une tournée. Dans ce cas, je n’ai pas droit à l’erreur, car c’est toute une équipe qui compte sur moi.

Quel a été ton plus grand challenge ?
Partir en tournée avec Symphony X. L’enjeu était de taille, car nous devions aller en Europe pour assurer une série de festivals, puis enchaîner par la Colombie, l’Argentine, le Brésil… Lorsque j’ai reçu leur album “Iconoclast” (2011), je n’en croyais pas mes oreilles. Il y avait des plans tordus partout ! Impossible d’assimiler plus d’un morceau par jour. Je n’avais pourtant qu’une semaine pour tout apprendre avant de retrouver le groupe en répétition. Le premier mp3 que Michael Romeo m’avait envoyé était celui de Dehumanized. Dès le début du morceau, je me suis affolé, car je n’arrivais pas à compter les temps. Je me disais : « Oh mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Je n’y arriverai jamais ! ». Mais bon, j’y suis arrivé (Sourire)

T’es-tu servi de partitions pour éviter les trous de mémoires ?
Je suis un très bon lecteur ! Je me suis amusé à retranscrire et à jouer des tas de morceaux de Frank Zappa. Mais je n’utilise jamais de partitions sur scène, car j’estime que ce n’est pas professionnel. Cela dit, j’ai quelques techniques pour m’en sortir. Lorsque je joue, je pense toujours au passage suivant. J’ai aussi pris pour habitude d’associer mes plans à des grands batteurs. Par exemple, en pleine action je me dis : « Le prochain break est celui à la Phil Collins », ou bien : « Dans quelques instants, on passe à un rythme au cerclage à la Stewart Copeland ».

Et qu’est-ce que cela fait de bosser avec Malmsteen, qui a la réputation d’être terrible avec ses musiciens ?
Je sais que pas mal de gens lui ont cassé du sucre sur le dos, mais à titre personnel, je n’ai vraiment pas à m’en plaindre, même si humainement, il peut être déroutant. Je ne te citerai aucun nom, mais crois-moi, à côté de certaines personnes avec qui j’ai dû bosser, c’est vraiment “une pâte”. Je vais te dire une chose, Yngwie est Yngwie. C’est un génie. Il est brillantissime, et il faut pouvoir l’accepter en s’inscrivant dans son sens. En tant que batteur, je me suis régalé, car il m’a laissé une énorme place. Je le revois encore me dire : « Je veux des breaks plus longs ! Et là, mets-moi plus de double grosse caisse ! Ouvre-moi ce charley ! Le charley fermé, c’est interdit ici ! Je veux qu’il soit le plus fort possible ! ». De plus, il tenait à ce que je fasse un solo tous les soirs. La première fois que j’ai répété avec lui, j’ai tout de suite été mis au parfum. Il y avait dix cabinets Marshall à fond et aucun micro pour la batterie : « Macaluso !! On ne t’entend pas ! – Mais ?? Tu vois bien que je ne suis pas sonorisé ?  – J’veux pas l’savoir ! Débrouille-toi pour frapper plus fort ! ». C’est à cette occasion que j’ai développé ma puissance à la caisse claire, en combinant une technique de torsion du bras à un rimshot.

L’équivalent d’Yngwie à la basse est Randy Coven (mort en 2014), avec qui tu as également joué. Était-ce difficile de suivre un « Bass Hero » ?
Ah Randy ! C’était l’un de mes meilleurs amis. Il me manque tant… Son style était unique, un savant mélange de metal et de jazz à la Stanley Clarke/Jaco Pastorius. Le secret pour jouer avec lui était de se focaliser sur la grosse caisse, tout en restant au fond du temps.

LABYRINTH BAND OKEst-il vrai que tu as joué sur près de deux cents albums ?
Bien plus en fait !

Comment est-ce possible ?
J’ai fait mes premières armes dans les années 90 en tant que musicien de session, ou batteur fantôme si tu préfères – celui qui n’est jamais cité sur les crédits d’un album ou figurant à peine dans les remerciements. J’étais partagé entre deux studios, l’un à Manhattan et l’autre à Long Island. Le plus souvent, je recevais ce genre de coup de fil : « Hey John ! Écoute, nous galérons un max au studio, car le batteur n’est pas assez bon. Alors, rapplique illico et reste discret. Tu seras bien payé ! Ok pour toi ? » Mais bon, mon nom apparaît quand même sur un grand nombre d’albums. Ce boulot n’était pas si ingrat.

As-tu immortalisé des hits très connus ?
Des hits ? Comme tu l’as remarqué, on ne m’appelle jamais pour jouer du pop/rock. On peut m’entendre sur quelques titres plus populaires que d’autres, comme Slaughterhouse, du groupe Powermad, tiré de la bande originale de Wild At Heart, avec Nicolas Cage.

Peux-tu parler de ton album solo “Union Radio”, que tu as récemment réédité ?
Avec cet opus, je me suis fait plaisir en invitant mes guitaristes préférés (Chris Caffery, Alex Masi, Jack Frost…). J’ai tenu à fonder l’écriture sur les claviers, l’idée de base étant de créer une sorte de « Pink Floyd Metal ». J’en suis très satisfait, car il est conforme à l’idée que je m‘en faisais, globalement aéré mais avec une batterie extrême.

Comment as-tu réussi à faire bosser tous tes invités ensemble ?
J’ai d’abord enregistré mes parties de batterie. Puis je suis allé à leur rencontre avec les bandes sous le bras, afin de finaliser l’écriture et d’enregistrer dans la foulée.

Ton kit est loin d’être exubérant, contrairement aux batteurs de prog’ classiques. Quelle en est la raison ?
En tant qu’inconditionnel de Magma, j’ai appris qu’il n’était pas nécessaire d’avoir un set monstrueux pour faire du prog’. Malheureusement,  pour des raisons contractuelles, personne ne pourra écouter le troisième album d’Ark (qui a pourtant été finalisé). Mais je peux te dire que ce dernier a largement été influencé par “Üdü Wüdü” et “Mekanïk Destruktïw Kommandöh”, que j’ai écoutés des centaines de fois. Christian Vander a une frappe lourde, doublée d’un feeling jazz unique rempli de nuances, et il n’a que quatre fûts ! Ce type de configuration favorise la créativité. Mais je ne suis pas têtu, étant actuellement impliqué dans Labyrinth, qui exige l’usage d’un set plus imposant. Je ne saurais trop te conseiller de jeter une oreille sur “Architecture Of A God”. J’ai pris un grand plaisir à l’enregistrer, car le groupe m’a laissé carte blanche. Résultat des courses, mon style alambiqué mélangé à leur power metal, un cocktail détonnant !

Peux-tu décrire ton matériel ?
Mes cymbales sont des Paiste. Les crashes sont des « Reflector ». Je joue toujours sur deux charley. J’ai pas mal de splashs et des bells de type « Cup Chime ». Mon kit a été fait spécialement pour moi par un ami artisan en Italie. Les dimensions des toms sont 8, 10, 12 et 13 pouces. Le tom bass fait 16 pouces et la grosse caisse 22. Ma caisse claire a été également customisée par Drumshop USA. Elle est en métal et ne fait que cinq pouces d’épaisseur. Et pour la première fois de ma vie, pour les besoins de Labyrinth, je me suis mis à l’électronique, en utilisant des pads  Korg Wavedrum.

N’est-ce pas perturbant de mixer acoustique et électronique ?
Au contraire, j’adore ! Un nouveau monde s’ouvre à moi ! Danny Carey, de Tool, est un pionnier en la matière. J’ai toujours voulu m’y mettre. J’attendais simplement que l’occasion se présente.

Tu évoques souvent Ark. Que représente cette formation pour toi ?
Elle marque un tournant dans ma carrière, car elle m’a permis de repousser mes limites. Avant ça, je n’avais que très rarement l’occasion de déployer toute ma technique. Comme je le disais, je n’étais qu’un batteur de studio anonyme. À la sortie du premier album en 1999, les gens ont su qui j’étais et je pouvais enfin être moi-même ! Il n’y avait aucune règle. De la double grosse caisse sur du flamenco ? Pas de problèmes, on y va ! C’était génial !

Je me souviens particulièrement d’une idée géniale sur le second album, “Burn The Sun”,  la chute d’une pièce de monnaie sur le sol s’enchaînant parfaitement avec le rythme. Qui a eu une telle idée ?
Je crois que cela vient de notre producteur, Tommy Newton. À l’époque, nous n’utilisions pas Pro-Tools. Il fallait que la pièce s’arrête exactement au bon moment, et nous avons réussi !

L’an dernier, tu t’es illustré avec le groupe du guitariste Français Didier Chesneau, Attraction Theory. Comment s’est faite cette rencontre ?
Je l’ai rencontré en 2001, après la sortie du second album d’Ark. Je vivais alors en France. Il y a deux ans, il m’a appelé pour concrétiser son nouveau projet, qu’il mène avec sa femme Constance Amelane, mélangeant metal, rock et progressif. J’ai mis en boîte quelques titres qui sortiront prochainement (un mini-album répondant au nom de [Principia] est prévu le 24 octobre, ndr).