Mon batteur et moi : Lee Dorian
Lee Dorian est une figure incontournable de la scène metal underground anglaise. Après avoir débuté sa carrière avec les grind-coreux de Napalm Death, le chanteur de tous les extrêmes a formé Cathedral, groupe déjà culte de Doom (traduire par « funeste destin »), aux rythmes ultra-lents, faisant le même effet qu’une pluie d’enclumes. Aujourd’hui, Cathedral n’est plus, mais Lee continue à honorer ses racines avec With The Dead, qui vient de sortir son tout premier album éponyme. Maestro, c’est à vous !
Il est surprenant de te voir à nouveau dans un groupe de Doom Metal. Tu as en effet décidé de dissoudre Cathedral, ce qui amène à penser tu n’aimes plus ce style… Qu’est-ce qui te fait croire que je ne l’aime plus ?
Cathedral représentait l’archétype du Doom…
Je m’y suis impliqué pendant plus de vingt ans. Le fait est que nous avons connu des hauts et des bas. Tout n’était que complications. De plus, nous avons enregistré dix albums studio, avec au final l’impression d’avoir donné tout ce que nous avions. Et tu n’es pas sans savoir que je suis le patron de Rise Above Records, ce qui représente un job à part entière. Je ne peux plus me permettre d’avoir un groupe à temps plein.
Comment est née l’aventure « With The Dead » ?
Il s’agit d’une histoire que je n’avais pas du tout prévue, ayant perdu l’ambition de chanter dans un groupe après Cathedral. Le fait est que Mark Greening (batterie/orgue Hammond) et Tim Bagshaw (guitare/basse) avaient décidé de monter un projet afin de signer sur mon label. Je les ai invités à me préparer une démo, et j’ai trouvé le résultat absolument bluffant. Ce n’était pas vraiment original, mais cela sonnait frais, heavy, puissant. Ils sont rapidement entrés en studio, mais l’enregistrement n’était pas satisfaisant. Je leur ai donc conseillé de prendre du recul et d’attendre quelques mois. C’est durant cette période qu’ils m’ont proposé de les rejoindre et j’ai dit oui.
Quelles sont les qualités de Mark en tant que batteur ?
Il a un style très libre et personnel. En tant que fan de Keith Moon, il ne saurait se contenter d’un simple beat en 4/4. Il produit des roulements assez dingues, auxquels j’ai rarement été confronté. Il frappe aussi très fort sur ses cymbales. Sa spontanéité rend nos morceaux plus vivants. C’est une vraie force conductrice, ce qui est primordial pour un style aussi lent. Il n’est définitivement pas un batteur conventionnel. !
Le titre Screams from My Own Grave (affichant 8’41 au compteur) surprend par son intro, un rythme de batterie solo sur plusieurs mesures, d’une lenteur pachydermique. Comment est venue cette idée ?
Ce type d’intro a déjà été exploité avec Mourning A new Day sur la première démo de Cathedral In Memorium… Initier un morceau par un rythme de batterie seul et exagérément lent est une manière radicale d’imposer d’entrée de jeu une atmosphère pesante.
Jouer du Doom demande pas mal de mémoire et de discipline compte tenu de la lenteur et de la longueur des morceaux…
Absolument, et il n’y pas de secrets, il faut répéter encore et encore pour bien s’imprégner de chaque mouvement et retenir les structures. Les riffs s’étendent sur de longues mesures, et il est souvent difficile de capter où l’on se trouve dans le morceau, surtout pour les parties instrumentales.
Esoteric (ndlr : l’un des groupes les plus lents de la planète avec des titres avoisinant les 25 minutes) prétendait avoir un mal fou à trouver un batteur capable d’aller au bout de leurs morceaux. T’es-tu déjà frotté à ce problème ?
Oui ! Le premier batteur de Cathedral, Andy Baker, était souvent perdu. Pour la petite histoire, il s’est endormi en plein milieu d’un titre lors de notre première répétition (rires !). Il faut dire qu’à l’époque (en 1989), nous jouions deux fois plus lentement que sur notre première démo ! Il est dur de jouer très rapidement, mais j’ai l’intime conviction que la lenteur extrême est encore plus difficile à maîtriser. Pour ne pas perdre le tempo, les batteurs de doom doivent développer une concentration extrême. Le tout est de ressentir la musique au plus profond de son être, sinon c’est peine perdue…
Jouer au click ne résoudrait-il pas une bonne partie du problème ?
Je ne le pense pas, car je sais d’expérience qu’avec un click mécanique, le feeling s’évapore. Le batteur de Doom doit posséder sa propre horloge interne. Tout ce qui régente strictement la musique tue la « vibe » !
With The Dead est aussi caractérisé par une batterie 100% organique, à situer quelque part entre le son de répétition et de studio. Comment obtenez-vous cette touche « vintage » ?
Déjà, nous ne multiplions pas les micros. Quatre sont réservés à la batterie, le kit étant minimaliste. Il était clair dès le début que nous n’utiliserions jamais de fichus triggers. A mes yeux, cette technologie remet en question le rôle même du batteur, le rendu final ne sonnant pas du tout humain. La batterie doit rester naturelle, primitive…
Que peux-tu dire des second et troisième batteurs de Cathedral, Ben Mochrie (1990) et Mike Smail (1991) ?
Ben était très doué, maîtrisant à merveille les tempos lents. Il a assuré comme un chef sur notre démo, mais malheureusement, des problèmes personnels l’ont poussé à nous quitter. Mike a joué sur notre premier album, « Forest Of Equilibrium », beaucoup plus étoffé au niveau des roulements. Mais il était prévu dès le début qu’il ne resterait pas, (habitant aux Etats-Unis). Ces deux-là avaient des qualités complémentaires qui, mises ensemble auraient donné le batteur de Doom parfait.
Vous avez ensuite engagé Mark Ramsey Wharton (1992-1994)…
Il vient d’un milieu tout à fait différent, le Heavy et le Thrash Metal, avec comme influence principale Lars Ulrich. Il était doté d’une frappe puissante, avec une certaine aptitude à faire sonner les mid-tempo, ce qui à l’époque nous convenait très bien, notre second album, « The Ethereal Mirror », étant beaucoup moins Doom. Cela dit, Mark a eu besoin d’un temps d’adaptation pour jouer les anciens titres comme Ebony Tears. Sur le papier, il n’était pas la recrue idéale, mais il s’en est bien sorti, et a même excellé sur le EP « Soul Sacrifice » avec Frozen Rapture, l’un de nos titres les plus lents !
C’était effectivement une époque où Cathedral quittait son carcan Doom Metal. Peut-on dire que c’est la venue de Mark qui vous a influencés ?
En partie… Pour exemple, la nouvelle version de Soul Sacrifice que nous avons enregistrée avec lui sur cet EP avait un tempo bien plus enlevé, un groove plus sautillant que l’originale. Je le revois encore nous proposer ce plan brillant durant le couplet, basé sur l’alternance «tom basse/grosse caisse», donnant l’effet d’une double grosse caisse. Mais à bien y penser, rien n’était calculé. Cela sonnait bien tout simplement. A batteur différent, interprétation différente.
Quelle est ta conception du groove Doom ?
J’aime lorsque les coups sortent du beat du métronome, que ce soit en avance ou en retard, car cela confère une ambiance plus étrange, plus psychédélique et dérangeante.
En 1994, tu engages Barry Stern (ndlr : mort en 2005). Quels souvenirs en gardes-tu ?
Lorsque Mark est partie, nous étions bien embêtés car nous devions assurer une tournée avec Black Sabbath. Nous avons alors engagé Joe Hasselvander (actuel batteur de Raven), mais cela ne fonctionnait pas, et le fait qu’il vive aux USA n’arrangeait rien. Il se trouve que Barry venait de quitter Trouble (ndlr : Groupe de Doom de Chicago). Nous avons passé de super moments. C’était un gars vraiment facile à vivre. Et puis quel batteur ! Il nous avait subjugué dès la première répétition, par sa précision et sa capacité à capter le mouvement de chaque chanson. Je jouais aussi avec lui dans un projet plus underground nommé Septic Tank, dans un trip Punk/Hard Core.
Mais Barry n’est pas resté… Décidément, trouver un batteur était loin d’être une sinécure…
Disons que tous ceux qui ont défilé après Mark n’étaient pas supposés s’éterniser…
Enfin, nous pouvons évoquer Brian Dixon, le batteur de Cathedral détenant le record de longévité…
Nous l’avons engagé au début 1995 en même temps que le bassiste Leo Smee, toujours dans l’urgence, une semaine avant une tournée avec Deicide. Que dire de plus ? Ils ont tous deux bien assuré et sont restés.
Lorsque tu auditionnes un batteur, quel modèle as-tu en tête ?
Bill Ward ! Si j’ai affaire à un batteur ayant le même swing, je l’engage sur le champ. Cathedral n’a jamais voulu sonner comme Black Sabbath, mais nous ne pouvons nier leur influence.
Que penses-tu de Black Sabbath avec Tommy Clufetos aux fûts ?
Il assure, mais ce n’est pas vraiment Black Sabbath. Je sais que Bill n’est plus en mesure de jouer, mais à partir du moment où l’un des quatre membres manque à l’appel, cela n’a plus de sens.
Avant Cathedral, tu évoluais aux antipodes avec Napalm Death. Que peux-tu dire de Mick Harris ?
Son approche n’était pas du tout conventionnelle. Je me souviens d’un musicien persévérant, se battant contre lui-même pour atteindre des vitesses vertigineuses. De nos jours, les adeptes de blast beats jouent de manière fine, tout en souplesse. Mais lui tapait comme une mule. On ne peut pas dire qu’il se la coulait douce. A chaque fois qu’il prenait les baguettes, il se démenait comme un malade, à tel point qu’on avait l’impression qu’il vivait ses derniers instants. Je le considère comme LE maître du Grind Core.
Selon la légende, il a créé le Grind car il était incapable de jouer autre chose. Tu confirmes ?
(Rires) Ce n’est qu’une légende. Il voulait dès le début être le batteur le plus rapide du monde, en prenant pour base le « Discharge Beat », et en le poussant au paroxysme.
Le fait est que Mick a déclaré forfait lors de l’enregistrement de « Harmony Corruption » (1990), correspondant à une époque où Napalm Death aspirait à plus de propreté et de précision. Il semblerait qu’il n’ait sa place que dans un environnement bruyant et brouillon…
C’est exact, et Napalm Death n’aurait jamais dû quitter cet esprit brut des débuts. Je ne comprendrai jamais ce qui les a poussés à enregistrer à Tampa, comme tous les combos de Death Metal de l’époque, pour finalement y perdre leur identité. A mes yeux, Napalm devait rester ce groupe sale et méchant à l’esprit punk, et non un énième groupe de Death. Ils s’étaient forgé une identité si forte ! Pourquoi se sont-ils fondus dans la masse ? Cela me dépasse…
As-tu des nouvelles du tout premier batteur historique de Napalm Death, Miles « Rat » Ratledge ?
Je pense qu’il vit en France et enseigne le Yoga !
L’histoire dit qu’après avoir quitté Napalm Death, tu as formé Cathedral en réaction contre la vitesse extrême. Est-ce vrai ?
Effectivement, le Grind Core commençait à me gonfler, d’autant plus que des tas de groupes s’engouffraient dans la brèche. Après l’EP « Mentally Murdered » (1989), j’étais persuadé d’avoir atteint le point de non-retour, imaginant mal comment faire plus rapide et plus agressif. La vérité est que j’ai toujours voulu jouer du Doom, le côté ultra-heavy accordant bien plus d’espace à la créativité et l’interprétation. •