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Purple Groove
Les batteurs et batteuses de Prince
Impressionnant animal scènique, chanteur charismatique, compositeur inspiré, producteur iconoclaste, guitariste virtuose…
Prince était un surdoué doublé d’un travailleur acharné. Et le multi instrumentiste se défendait sacrément bien sur un kit !
Pas étonnant qu’il ait toujours engagé, à parité hommes-femmes des batteurs à la hauteur de ses exigences artistiques.
Un dernier rappel en leur compagnie pour honorer le Génie de Minneapolis prématurément disparu.
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Véritable homme orchestre, Rogers Nelson, alias Prince, touchait à tous les instruments. On retient évidemment ses poignants solos de guitare, mais il excellait aussi aux claviers, et à la batterie dont il jouait en studio et parfois sur scène. Dès ses débuts en tant que leader, Prince contrôle à 100% la composition, la production et la réalisation de ses oeuvres. Avec son groupe, The Revolution, nom tout à fait approprié pour sa manière inédite de travailler, Prince se révèle un artiste visionnaire. Il exploite à fond le potentiel des instruments électroniques, notamment les synthétiseurs polyphoniques qu’il utilise comme un pupitre de cuivres, et les boites à rythmes dont il se sert pour concocter ses grooves. Novateur, il ne se contente pas simplement de programmer des boucles rythmiques, il veut leur donner une dimension organique. Pour cela il travaille avec Roger Linn, concepteur de la fameuse Linn LM-1, pour élaborer une interface permettant d’utiliser les sons de la machine sur un kit, via des triggers. Cette batterie électronique, avec sa ribambelle de mini pads, sera jouée par Bobby Z, batteur en titre de The Revolution et précieux allié du Génie de Minneapolis. |
Bobby Z et le Minneapolis Sound De son vrai nom Robert Rivkin, ce batteur originaire de Minneapolis travaille avec Rogers Nelson dès la fin des années 1970. Il contribue à « Purple Rain », album séminal et BO du film qui contient des titres imparables comme Let’s Go Crazy, le controversé Darlin Nikki (avec « explicits lyrics » traitant de la masturbation), l’electro groove de When Doves Cry, et le titre éponyme, tube qui fera entrer Prince dans le cénacles des héros de la pop. Bobby Z est un pilier de The Revolution. Fervent adepte de la sainte trinité « kick-snare-hi hat », il assure dans le groupe une solide rythmique funky, épicée de sons électro déclenchés sur les pads, une recette qui fera école. En dépit de l’emploi d’une batterie électronique, le fameux kit bidouillé avec Roger Linn, Bobby Z apporte à la musique de Prince une chaleur humaine et contribue à créer ce que l’on nommera le Minneapolis Sound, mélange de funk torride et d’électro. Bobby Z n’a pas été choisi par hasard. Artiste noir, Prince est influencé par James Brown, Little Richard, Jimi Hendrix, Curtis Mayfield… C’est aussi un grand fan de Sly and The Family Stone, dont le leader, Sylvester Stewart, fut un précurseur de la mixité raciale dans un groupe. Bobby Z n’a pas seulement un bon groove, c’est un Blanc. Prince le choisi pour remplacer son cousin, le batteur Charles Smith. Il mélange ainsi les couleurs… et les genres, quels qu’ils soient. The Revolution est donc un groupe hybride à plus d’un titre : Noirs et Blancs, hommes et femmes, à parité (après Bobby Z seront recrutées la guitariste Wendy Melvoin et la claviériste Lisa Coleman), et son leader se présente lui-même comme androgyne et sans couleur totalement définie. En 1986 Wendy & Lisa quittent le groupe. Le changement de personnel se poursuit l’année suivante avec le départ de Bobby Z, à qui succède Sheila E. Un remplacement effectué sans animosité, le batteur gardant un bon contact avec son ancien employeur. En 2011 il célébrera d’ailleurs le 30ème anniversaire de la sortie de « Purple Rain » en reformant The Revolution (sans Prince toutefois) pour un concert de charité au profit de « Purple Heart », l’association de sensibilisation aux maladies cardiaques créée par Bobby Z, qui fut lui-même victime d’une attaque en 2010. |
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Sexy Sheila E |
« Prince était un Visionnaire. Un Rêveur et un Croyant. Mais avant tout, il croyait en ceux qui étaient touchés par sa musique (…). On m’a demandé : « comment était-ce de créer et de produire de la musique avec Prince ? » A quoi je répondais de manière provocante : « Demandez-lui plutôt comment c’était de créer et de jouer avec moi. » C’est le genre de réponse qu’il aurait comprise car elle traduit l’audace qu’il m’a inculquée. En vérité, je n’ai jamais su comment c’était de créer avec Prince car chaque instant était différent, une évolution constante (…). Je terminerai en souhaitant à chacun Paix, Amour et Joie dans la manière dont vous célébrerez la vie de Prince. Avec sa musique il a atteint l’éternité. Grace à votre amour pour lui et à votre soutien, passé, présent et à venir, il demeurera notre Prince. Puisse votre cœur briller des ombres Pourpres, pour toujours. Je sais que le mien le fera.
Love. » Sheila E.
Michael Bland, l’éclectique Ce batteur n’a que 19 ans lorsqu’il est engagé par Prince. Le Génie de Minneapolis a monté un nouveau groupe, The New Power Generation. Il recherche un drummer au groove solide. Bland a une puissance impressionnante, en rapport avec sa corpulence. Il est aussi capable d’une grande finesse et ne craint aucune aventure musicale. Il va assurer de son backbeat de plomb les productions Paisley Park pendant près de sept années, et collaborer à autant d’albums. Elevé dans un milieu musical et pieux, Michael prend tout d’abord modèle sur son père, qui joue de la batterie à l’église de son quartier. Le jeune homme pourrait être assimilé à la génération des « gospel drummers », qui allient avec beaucoup d’exubérance groove et chops. Mais c’est en réalité un authentique fan de rock qui se rassasie en écoutant les radios FM. Travailleur et doté d’une bonne culture musicale, il est repéré par le guitariste Hiram Bullock, avec qui il joue régulièrement au Bunker, un fameux club de Minneapolis où Prince a ses habitudes. A la recherche d’un remplaçant pour Sheila E, Prince pense que le jeunot semble tout à fait affuté pour la besogne, sa musique prenant alors une tournure plus radicale, accès davantage sur le groove que sur les arrangements sophistiqués développés ces dernières années. Après un boeuf avec le groupe maison du Bunker, Prince est convaincu que Michael Bland est l’homme de la situation. Michael va assurer le job avec un grand professionnalisme de 1989 à 1996, en studio et en tournée. Cet engagement va booster la carrière de Michael, qui sera des plus éclectiques : des collaborations avec Chaka Khan, George Benson, Michel Portal ou le groupe Soul Asylum… Prince aura une influence cruciale sur le développement du jeune musicien. C’est son boss, mais aussi un véritable professeur de musique qui lui fait découvrir les grands maîtres du funk, à commencer par Sly Stone et son bassiste Larry Graham. Il lui ouvre également les oreilles sur le jazz et la musique classique. Enfin, il lui apprend à travailler de manière instinctive, créant sur l’instant, car cet hyperactif est toujours prêt à enregistrer dans son studio de Paisley Park, l’inspiration surgissant sans prévenir. Même régime en tournée, où, entre deux gigs, il n’est pas rare qu’un studio soit loué dans l’urgence pour ébaucher ou concrétiser un nouveau morceau. Quelle école ! |
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John Blackwell Jr : « Pocket Man » |
La Reine Cora Coleman-Dunham Le CV de « Queen » Cora Coleman-Dunham est impressionnant : Beyoncé, Maceo Parker… et Prince, avec qui elle a eu l’insigne honneur de jouer durant la mi-temps du Super Bowl, en 2005. Nous autres Français, ignorant les subtilités du football américain, ne pouvons nous rendre compte de ce que représente ce mini concert géant (sic) de 45 minutes. Il se tient dans un stade archi bondé, événement sportif majeur retransmis en direct pour des millions de téléspectateurs. Les artistes qui se sont succédés à ce méga show ont pour nom, entre autres, Michael Jackson, Justin Timberlake, Beyoncé… La pression est forte, alors, avec Prince, elle prend des dimensions colossales. Et ce jour-là, Cora assure le job en vraie pro. Comme son prédécesseur, cette batteuse a été élevée dans la rigueur des Drum Corps, qui donne à son jeu assurance et précision, avec une grande fluidité musicale par sa maitrise des rudiments. Elle partage sa vie avec son bassiste de mari, Josh Dunham. Après ce mémorable show du Super Bowl, le couple est invité par Prince à intégrer son After Party House Band. Ce groupe se produit généralement dans un contexte diamétralement opposé aux shows donnés dans les stades et autres arenas, mais dans l’intimité de petites salles réquisitionnées par Prince pour donner des concerts privés en bonus de ceux produits en tournée. Queen Cora apprécie l’énergie de Prince, sa générosité sur scène et la versatilité du multi instrumentiste, qualité qui peut parfois devenir agaçante lorsque, inévitablement, le leader décide de prendre les baguettes pour montrer comment jouer un groove. Mais seul le résultat compte, et il peut être mesuré sur les titres que Cora a enregistrés avec Prince, l’hispanisant Te Amo Corazon, ou le très funky Get On the Boat (avec Maceo Parker). |
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Hannah Ford |
Last but not least : Prince
L’aptitude de Prince à maitriser tous les instruments, guitare, basse, claviers, batterie… lui donnait toute liberté. En studio, il aimait enregistrer les parties de batteries en premier. Sa méthode de travail était de travailler vite, pour garder la fraicheur des prises. Le « feel » importait plus que la technique. Le groove syncopé qu’il développe dans Tamborine (sur l’album « Around The World In A Day ») illustre parfaitement cette profession de foi du batteur naturel qu’il était.
Pur autodidacte, il s’est mis à la batterie à l’âge de 13 ans, avec comme professeur… un poste de radio. Il s’amusait à accompagner toutes sortes de musiques, y compris celle qu’il entendait (déjà) dans sa tête alors qu’il chantait sur des grooves qui naissaient spontanément. Il n’avait pas d’a priori, c’est le privilège des enfants, pas encore formatés aux genres, ni enfermés dans des chapelles stylistiques.
Plus tard, devenu artiste habité par une vision globale de sa musique, il fut capable de la concrétiser lui-même. Il lui suffisait d’agencer toutes les prises réalisées en studio, qui ne pouvaient que sonner de manière homogène du fait qu’elles étaient la performance d’un même homme. Un groupe idéal en somme. Pour transposer cette magie sur scène, il lui faudra trouver des musiciens exceptionnels. Et du fait de sa boulimie créatrice et de la diversité des champs artistiques exploités, le Purple One fut constamment en quête de perles rares. Pour ce qui concerne le batteur, il devait avant tout être capable de maintenir un tempo solide, et bien sûr faire le show sur scène, sans toutefois avoir un ego démesuré. « Je n’aime pas lorsqu’un batteur joue dans l’excès et n’écoute pas assez » déclarait-il dans une interview à Modern Drummer. « Ecoutez donc la chanson Funky Drummer. Le batteur joue la même chose, enore et encore, et ce groove vous tient en haleine. »
Le batteur en question n’est autre que Clyde Stubblefield, un des héros de Prince. Lorsque l’ancien funky drummer de James Brown est atteint d’un cancer, Prince signe un chèque de 80 000 $ pour couvrir les frais médicaux et demande à la famille de ne pas dévoiler ce geste de solidarité. Le généreux donateur aujourd’hui disparu, ce secret peut être révélé. Repose en paix, Petit Prince. •
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