Matthieu Chazarenc

Bientôt en haut de l’affiche
Ancré dans le jazz français actuel, Matthieu Chazarenc a su également se faire une place de choix dans la variété, avec une constante atti-rance pour la mélodie et la chanson. Désor-mais compositeur et leader, il sort son album et tourne en ce moment avec le légendaire Charles Aznavour.
Matthieu, parle-nous d’abord de cette casquette de compositeur/leader. Est-ce un projet que tu mûris depuis longtemps ?
Cela fait pas mal de temps que l’idée me trottait dans la tête, mais le temps passait et je n’arrivais pas à franchir le cap. Je dois dire qu’en plus d’être d’immenses improvisateurs, les musiciens de jazz avec lesquels je collabore depuis de nombreuses années sont pour la plupart de formidables compositeurs ! Être à leur contact m’a donc constamment inspiré au fil du temps, et puis j’ai eu 40 ans l’année dernière, ce qui marque toujours un peu. En parallèle, pas mal de choses dans ma vie privée ont bougé, avec un besoin naissant de me lancer de nouveaux défis artistiques. Tout cela a beaucoup contribué à l’éclosion de ce projet.
Y a t-il eu un déclencheur qui t’a poussé à écrire ?
Si tu veux me faire parler d’une récente peine de cœur, tu n’y arriveras pas (rires) ! C’était surtout une volonté personnelle très forte. Ensuite, certains programmateurs et des amis musiciens m’ont beaucoup encouragé, et conseillé même. Je pense en particulier à des personnes très importantes pour moi, comme Sylvain Luc, Olivier Ker Ourio, Nelson Veras, Thomas Enhco, Manuel Rocheman, Eric Séva … Je leur dois beaucoup, en général, et en particulier dans la maturité et l’aboutissement de ce projet. Evidemment, il a bien fallu que je commence, et je me rends compte que cela aura pris pas mal de temps pour fixer les choses. Heureusement, lors de mon apprentissage, j’ai fréquenté des établissements d’enseignement du jazz et des musiques improvisées, dont le CNSM à Paris, quand je suis arrivé de ce que j’aime appeler « mon village », en 2000. Nous avions la chance de prendre des cours d’harmonie et de piano, et il est évident que cette connaissance-là m’a beaucoup aidé à mettre en forme ma musique.
Comment as-tu fait le choix de l’instrumentation ?
L’ambiance générale de mes compositions privilégie un caractère très chanson, tourné vers la mélodie. Je souhaitais restituer un son très acoustique, ce qui m’a emmené, presque de manière évidente, vers l’accordéon. Pour moi, le son de cet instrument évoque la danse, la fête, mais d’un certain côté aussi, la mélancolie. J’ai des souvenirs, tout gamin, des disques de Claude Nougaro (avec Richard Galliano et Charles Bellonzi à la batterie), de Jacques Brel (avec Marcel Azzola) qui passaient en boucle à la maison, et il est évident que cela m’a marqué profondément. Plus tard, mes premiers engagements dans les orchestres de bal du Sud-Ouest ont sans aucun doute enfoncé le clou. La gestation a engendré un mélange de tout cela, et le résultat a, je pense, donné ce que je recherchais inconsciemment depuis longtemps.
À chacune de nos rencontres, tu te montres toujours très humble, presque timide vis-à- vis d’autres batteurs. Et pourtant, de nombreux solistes de jazz font appel à toi, et maintenant, des directeurs musicaux de variété. Tu te retrouves à Bercy avec une légende de la chanson et une trentaine de morceaux à connaître sur le bout des doigts… Ce n’est pas rien comme parcours !
C’est gentil Laurent. Je ne sais pas trop quoi te dire… Il y a suffisamment de musiciens extraordinaires, en France et sur notre planète tout entière, pour garder la tête froide et rester conscient de cette évidence. Je crois surtout que j’ai eu, et que je continue à avoir, beaucoup de chance au fil de mon parcours. Celle d’avoir un papa qui jouait un peu de batterie, et une famille qui écoutait énormément de jazz à la maison, mais aussi de la musique classique, brésilienne, et beaucoup de chanson française aussi. Ils ont compris ma passion et m’ont encouragé. Or tout ça, ce n’est pas rien ! Je pense aussi à certains professeurs (Patrick Guise à Pau pour les percussions classiques, Richard Paul Morellini, mon directeur pédagogique à Nancy, Neal Wilkinson, formidable batteur anglais qui a terriblement compté durant mon adolescence), à certains artistes que j’ai croisés à des moments décisifs de ce qui est devenu ma carrière, comme le contrebassiste hollandais Hein Van de Geyn ou le pianiste Bernard Maury, toutes ces personnes qui m’ont conseillé, apporté leur soutien, leur bienveillance et leur confiance. Je peux affirmer aujourd’hui que sans eux, rien n’aurait été possible !
Ton disque montre une facette assez épurée de ton jeu, au service des mélodies, avec juste un seul solo sur un ostinato, ce qui ne t’empêche pas d’être hyper efficace sur chaque titre. Mais on comprend que la priorité n’est pas la démonstration, c’est ça ?
Quand nous sommes entrés en studio avec mes camarades, tout ce qui m’importait, c’était que chacun ait sa place, puisse prendre du plaisir dans la musique que je leur proposais. Je considère Christophe Wallemme à la contrebasse, Laurent Derache à l’accordéon et Sylvain Gontard au bugle, comme trois très grands musiciens, et je voulais sincèrement qu’ils s’expriment naturellement et proposent librement des idées pour que chacun apporte sa contribution au projet. Tu as raison, je n’ai effectivement pas cherché plus que ça à me mettre en avant, ni à faire des solos de batterie sur chaque morceau, car de mon point de vue, cela n’aurait pas eu de sens… Tu vas encore dire que je suis modeste, mais je pense honnêtement que je n’y serais pas arrivé de toute façon ! (rires)
Aujourd’hui, on sait que l’on ne sort pas un disque de jazz pour en vendre… Peux-tu nous dire quels étaient les buts visés ?
Comme je te le formulais tout à l’heure, ce projet est né d’une démarche purement artistique et personnelle, à ce moment précis de ma vie. Je ne visais rien de spécial au préalable. Evidemment, l’objet « disque » reste encore aujourd’hui, je crois, un outil promotionnel et un outil de démarchage qui s’avère très utile. Il me semblait donc important de graver quelque chose sur un support. Ne serait-ce que pour présenter cette musique au public. Nous avons d’ailleurs une dizaine de dates en mars prochain, autour de la sortie de l’album, et même s’il est compliqué de compter sur des milliers de ventes de disques aujourd’hui, j’espère bien en vendre quand même quelques-uns à la fin des concerts !
Comment définirais-tu ton style, ton approche de l’instrument ?
C’est extrêmement compliqué pour moi de répondre à cette question. Je pourrais te parler de mes rencontres, de mes influences, etc. Mais définir mon style, c’est super difficile… Cela dit, je pense avoir été marqué par l’idée de ne pas trop chercher à ressembler à son voisin. Daniel Humair, notre professeur de batterie au CNSM, mettait perpétuellement l’accent sur l’importance de développer notre personnalité, nos propres idées, notre style personnel. Avec du recul, c’est un conseil fondamental. Je pense à André Ceccarelli ou Manu Katché, qui font tous les deux partie, à mon avis en tout cas, de ces maîtres que l’on peut reconnaître les yeux fermés, en quelques mesures. Je trouve ça magnifique ! Même si l’on a forcément des influences, quel que soit le style de musique, chercher à se différencier par ce que l’on joue pour mieux être identifié, me semble indispensable. Au final, je trouve que c’est même la chose la plus importante et la plus noble qui soit sur un plan artistique.
Parle-nous de cette nouvelle expérience dans la « cour des grands », en préparation de Bercy et d’autres dates en France !
Pour résumer, j’ai vécu une expérience tout simplement extraordinaire. J’y crois à peine moi-même, tu sais ! Tout ceci est très récent, donc il m’est difficile d’avoir du recul sur la situation. Au départ, j’ai été contacté par Eric Wilms (chef d’orchestre de Charles Aznavour, ndr), personne d’un professionnalisme et d’une classe rare, et en très peu de temps, j’ai énormément appris à son contact. Il m’a aidé de manière considérable dans la préparation du répertoire. Evidemment, de mon côté, j’ai travaillé dur pendant quinze jours pour apprendre et intégrer les chansons, en écoutant aussi les différentes parties de batterie des audios que j’avais. Puis, lorsque nous avons répété, j’ai essayé de jouer le plus efficacement possible, en essayant de rester moi-même, naturel et ouvert. Je ne sais pas si les lecteurs pourront s’identifier, mais c’était très impressionnant ! Eric Wilms et Kevin Reveyrand, bassiste hyper solide (avec lequel j’avais déjà joué de nombreuses fois dans des formations de jazz, mais également dans le grand orchestre d’Ivan Jullien), m’ont vraiment mis en confiance, et proposé de très bonnes idées. J’en profite d’ailleurs ici pour les en remercier chaleureusement ! Idem pour Marc Chantereau, percussionniste que l’on ne présente plus, qui joue un immense set de percussions sur scène, et me transmet à la fois une super énergie et son expérience musicale hallucinante.
Je t’ai vu le lendemain de Bercy et tu étais encore sous le choc. A la fois sur un nuage et comme conscient d’avoir passé un cap…
Oui, j’étais effectivement un peu sous le choc ! Accompagner Charles Aznavour à Bercy, avoir le privilège de jouer la batterie sur des chansons aussi belles et mythiques que les siennes, te procure des émotions rares. Je m’en souviendrai toute ma vie, c’est certain.
J’imagine que l’approche, le type de jeu et même le type de matos que tu utilises doivent varier, entre un trio ou un quartet de jazz et une formation de variété ?
Oui, tu as raison. Lorsque je suis parti en tournée avec Olivia Ruiz en 2013-2014, Yamaha m’a d’emblée soutenu et mon ami Nicolas Filliatreau m’a suggéré d’utiliser un modèle Club Custom, en 22’’, 12’’, 14’’ et 16’’. Je l’avais bien évidemment gardé depuis, et je m’en sers en ce moment. J’y suis très attaché, je joue cette batterie avec beaucoup de plaisir, même s’il a fallu que je me réhabitue à ces dimensions un peu inhabituelles pour moi, puisque je joue plutôt des grosses caisses de 18”. Pour les cymbales, je n’ai pas changé la totalité de mon set. Je joue sur scène des Bosphorus, ma vieille ride principale, deux crashs très fines plus récentes, et même une ride cloutée que j’utilise pour certaines chansons.
Qu’est-ce que la pratique du jazz t’a apporté dans des formations comme Olivia Ruiz ou Charles Aznavour ?
Voilà encore une question assez complexe ! (rires) Toutes les situations sont différentes, et je ne crois pas que l’on puisse calquer quoi que ce soit. C’est ma philosophie, en tout cas. Quand au rapport avec la pratique du jazz, je crois pouvoir dire que c’est une musique qui nous demande des connaissances de styles, de culture musicale, de technique instrumentale, des notions rythmiques, harmoniques, tout un bagage qui t’apporte au final des bases très solides et surtout très variées. C’est une musique où les dynamiques, les nuances, sont primordiales, où le fait de rester constamment connecté aux autres par l’écoute et souvent le regard s’avère crucial. Je pense que cela fait déjà beaucoup de paramètres précieux et utiles pour aborder bon nombre d’autres contextes musicaux. Par ailleurs, l’apprentissage du jazz demeure extrêmement formateur à de multiples égards. Et puis c’est l’histoire de notre instrument, ne l’oublions pas !
Pour conclure, où te vois-tu dans 10 ans ?
Je n’en ai pas la moindre idée ! Mais j’espère juste avoir toujours la même énergie pour travailler mon instrument, pratiquer régulièrement des sessions avec de nouveaux musiciens, composer encore et encore, apprendre de nouvelles choses au contact de nouveaux artistes, continuer à avancer avec les groupes dans lesquels je suis investi, et transmettre un peu de mon savoir-faire quand l’occasion m’en est donnée, comme récemment au CMDL. Et si la musique ne peut plus fonctionner pour moi, pour une raison X ou Y, et bien je me dirigerai vers une deuxième passion : la cuisine ! Je repartirai dans mon Lot-et-Garonne natal, et j’essaierai de monter un bistrot de spécialités du Sud-Ouest. Tu viendrais y dîner et trinquer, ce serait sympa ! (rires) Mais j’espère sincèrement continuer sur cette lancée, et que la chance continue, elle aussi, de me sourire. •