ROBERT PAISTE (1932-2016)

Robert Paiste (1932-2016)

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Le son et la vibration

Cruelle année que 2016, avec le décès d’importantes personnalités de la facture instrumentale chères au cœur des batteurs. Après Remo Belli et Johnny Craviotto, notre communauté est endeuillée par la disparition de Robert Paiste.

Robert était le frère de Toomas, lui-même disparu, accidentellement, en 2002. Héritiers de leur père Mikail, fondateur de la marque Paiste, ils furent tous deux les artisans de la cymbale moderne. On leur doit la création de la gamme Formula 602, inaugurée en 1957 ; dix ans plus tard, des Giant Beat, premières cymbales conçues pour le rock et popularisées par John Bonham et Ian Paice, entre autres ; et des indémodables 2002, ligne devenue une sorte d’étalon de la cymbale à partir de 1971.
La famille Paiste produit des cymbales et des gongs depuis le début du XXème siècle. Cette dynastie d’origine estonienne, au gré des aléas de l’Histoire et de la géopolitique, a dû maintes fois émigrer (Russie, Estonie, Pologne, Allemagne…), avant de se fixer à Notwill, près de Lucerne, en Suisse, où elle assure depuis maintenant soixante ans toute sa production (exceptés les gongs et certaines  cymbales d’entrée de gamme manufacturés en Allemagne). Et cela de manière quasiment artisanale, une gageure lorsqu’on connaît le succès mondial de cette marque.

Perfectionniste et visionnaire
Pour jouir d’une telle notoriété, il faut non seulement garantir une qualité de fabrication irréprochable – on a souvent comparé la facture des cymbales Paiste à celle de l’horlogerie suisse -, mais également se hisser à la pointe de l’innovation, ce que ne manqua pas de faire Robert Paiste durant sa longue carrière. Son frère Toomas, homme jovial au charisme indéniable, doué pour les affaires, a présidé aux décisions commerciales de l’entreprise familiale. Robert, plus discret, cultivait quant à lui son jardin secret : l’expérimentation dans le domaine de la métallurgie et dans la recherche sonore. On lui doit notamment le développement d’alliages inédits, comme le fameux Paiste Sound Alloy, utilisé pour la production des gammes Signature, Sound Formula et Traditional.
Les batteurs doivent aussi à Paiste bon nombre de nouveaux instruments, par exemple la China, commercialisée dès 1949, avatar moderne de l’ancestrale cymbale chinoise ;  le hi-hat Sound Edge, avec la cymbale inférieure ondulée pour laisser s’échapper l’air plus facilement (1967) ; ou encore la Flat Ride (1968), une cymbale dépourvue de cloche, à la sonorité sèche et subtile. Derrière toutes ces avancées, Robert Paiste, un homme qui était à l’écoute des batteurs contemporains et avait une vision pour le futur.

Cymbals, Gongs & Sounds
Depuis quelques années, Robert Paiste profitait d’une retraite bien méritée, tout en veillant aux destinées de son entreprise. Il s’est éteint à l’âge de 84 ans, après avoir su léguer son esprit novateur à ses héritiers, en premier lieu son fils Michael, en charge de la production, et à son neveu, Erik, fils de Toomas et directeur de l’entreprise. Ce perfectionniste a su également faire fructifier une passion, qu’il donnait en partage aux batteurs et qu’il résumait en une sobre devise inscrite en dessous du logo Paiste : « Cymbals, Gongs & Sounds ».
« Le son est vibration, et la vibration est énergie, déclarait cet homme inspiré autant par la musique que par la physique. L’énergie de la vie est vibration, tout comme les sons. Ainsi, pour nous, le son est une part d’une vérité profonde et fondamentale. Nous ne sommes pas les seuls à ressentir cela. Il y a tant de batteurs à l’esprit musical développé qui ressentent cette même émotion lorsqu’ils jouent leurs cymbales. Ce n’est pas seulement le son, c’est la vibration, le toucher, comment cela réagit et parle au batteur. C’est un sentiment merveilleux que de produire quelque chose, de le passer aux batteurs, et de les voir s’approprier cette même réponse. Il y a une grande vérité derrière tout cela. » •

 

Hommage
Durant mes dix années de collaboration avec Paiste, j’ai eu le plaisir de rencontrer Robert Paiste de nombreuses fois. Il m’a appris d’innombrables choses sur les cymbales, et j’ai eu la chance de pouvoir à plusieurs reprises partager un peu de son immense savoir lors du développement de nouvelles séries. C’était un homme affable, très réservé, toujours dans le respect des autres. Il était éclairé par sa passion pour les cymbales, immergé dans son univers de créateur de sonorités qui le transcendait. Il avait un immense respect pour les batteurs et les percussionnistes, et possédait ce côté fascinant et mystérieux de certains personnages mythiques détenteurs de grands secrets. Robert Paiste fait partie de ces personnages qui m’ont profondément marqué. Créateur passionné, il a vraiment innové et œuvré pour que les batteurs jouent sur des instruments dignes de ce nom.
Robert a rejoint Héphaïstos et sa forge sur le mont Olympe, et je suis certain que ce dernier l’a accueilli les bras ouverts, car faisant partie de la caste. Nul doute qu’il partagera avec lui un peu de son éternité.
Alain Gozzo